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Rubrique Reportage

Taddart n Lejdid Iwaquren (BOUIRA) Quand un village se mobilise pour la réhabilitation de son histoire

Reportage réalisé par Yazid Yahiaoui

Organiser une marche sur une vingtaine de kilomètres entre le nouveau village de Raffour et l’ancien village Taddart n Lejdid, situé en haute montagne, à plus de 1 000 mètres d’altitude, et à plus de 70 kilomètres à l’est de Bouira dans la daïra de M’chedallah, avec la participation de tous les villageois, hommes, femmes, enfants et vieux le 1er novembre dernier, était déjà en soi une prouesse.

Mobilisation générale pour la réussite d’un événement
Mais, organiser sur place en haute montagne, à l’occasion de l’anniversaire de la date de la déportation et de la destruction du village par l’armée française un certain 4 novembre 1957, avec la participation de milliers de villageois, un riche programme s’étalant sur quatre jours avec plusieurs activités et qui se termine par une waâda, constitue non seulement une prouesse, mais également un défi que Tajmaeit Taddart n Lejdid Iwaquren, cette assemblée traditionnelle toujours présente dans nos villages, et l’association «Tadukli n Taddart n Lejdid» avaient lancé et qu’elles viennent de réussir haut la main dans l’organisation de ces journées commémoratives.
En effet, durant quatre jours, une exposition retraçant le passé glorieux de ce village qui compte aujourd'hui plus de 5 100 âmes, ainsi que des portraits des martyrs de la révolution, a été organisée. Cela, outre d’autres expositions de peinture et de sculpture sur bois de l’artiste Sadaoui Abdenour. Ou encore les différents métiers allant de l’habit traditionnel, au métier à tisser en passant par l’art culinaire et les gâteaux traditionnels.
Ce vendredi, 4 novembre 2022, dans la matinée, le temps était ensoleillé mais bien plus frais et annonciateur du mauvais temps, et le village Taddarat Iwaquren perché sur le flanc sud du Djurdjura, à plus de 1 000 mètres d’altitude, s’apprêtait à accueillir les visiteurs avec une large banderole sur laquelle il souhaite la bienvenue, mais également un grand drapeau national et les fanions qui flottaient dans les airs en dessinant avec le vent qui soufflait, des tableaux idylliques qui ajoutent beaucoup de charme à l’événement.
En quittant la RN15 pour le CW9, au village de Selloum, après avoir parcouru une bonne dizaine de kilomètres depuis la RN26 au niveau de la ville de Chorfa, ce chemin qui relie la RN15 et la RN30, qui est bitumé mais trop étroit pour deux véhicules légers, montait encore et encore en serpentant. Et il faudra encore une bonne demi-heure pour atteindre enfin la dernière colline de laquelle on peut voir enfin se dresser devant nous ce village de Taddarat n Lejdid ; avec ses maisons en toub délabrées ; adossées les unes contre les autres, dans un style architectural propre à tous les villages kabyles. Des maisons tombées en ruine pour certaines, restaurées pour d’autres, et complètement reconstruites avec une nouvelle architecture moderne pour quelques-unes.
Sur place, après avoir stationné notre véhicule, on prend un sentier rocailleux qui monte encore là-haut vers l’école et la place du village. Sur ce sentier, des centaines de familles, des femmes avec leurs enfants, des vieilles et des vieux, des hommes, des jeunes ; tout le monde empruntait ce même sentier dans une ambiance festive et des mines joyeuses en cette journée aux senteurs automnales, avec un vent assez frais, des nuages qui culminent dans le ciel et un soleil beaucoup plus clément et tant désiré. Le tout, avec de la musique, des chants patriotiques que l’on entend de loin et lancés à coups de grands décibels depuis la place du village ; alors qu’un peu plus loin, un monticule est occupé par des centaines de familles, des centaines de femmes et d’enfants assis à même le sol sur cette terre bénie, tapissée par une petite couche d’herbes, et d’où les femmes lançaient de temps à autre des youyous. Alors que d’autres entonnaient des incantations traditionnelles ; des chants que les femmes chantaient durant les naissances, les circoncisions et autres fêtes de mariage.
En somme, une ambiance festive qui ne laisse personne indifférent.

Il était une fois, la destruction du village Taddart n Lejdid Iwaquren
Sur place Brahim Sahraoui, un intellectuel du village nous raconte les circonstances de la déportation du village, un certain 4 novembre 1957. Cela s’est passé, rappelons-le, quelques mois après la destruction d’un autre village de l’Arch Iwaquren ; le village «Ighzer Iwaquren», situé un peu plus loin en allant vers l'ouest, et incendié par l’armée coloniale française le 6 mai de la même année 1957.
Ayant appris que le village «Taddart n Lejdid Iwaquren» abritait également des moudjahidine et continuait à prêter main-forte à l’ALN, les militaires français stationnés à Takerboust ont décidé de détruire le village. Aussi, ils ont lancé un ultimatum aux villageois en leur fixant la date du 4 novembre 1957 comme jour arrêté pour le bombardement de la partie basse du village, dans un premier temps.
Les villageois, du moins toutes les familles qui habitaient dans cette partie basse, n’ont eu que quelques heures pour prendre tout ce qui leur était précieux et le déposer un peu plus bas au lieudit «Iherqan», avant de transporter tous ces biens vers les lieux où elles seront déportées. Plusieurs familles avaient fui les lieux en emportant à dos d’ânes et de mulets leurs biens. Particulièrement la nourriture qui consistait en blé, orge et autres figues sèches ; et les couvertures à base de laine et réalisées par les femmes du village avec du métier à tisser ; des ustensiles de cuisine en poterie ou en bois, etc.
Une semaine plus tard, ce fut le tour des autres familles situées en haut du village, et là aussi, les familles ont été pressées de quitter les lieux en emportant juste le nécessaire. Tous leurs biens ont été transportés à dos d’ânes et de mulets réquisitionnés pour la circonstance par le commandant du secteur militaire de Takerboust, afin que les villageois quittent les lieux au plus vite et le village bombardé en entier.
Pour la déportation, notre interlocuteur raconte que les familles stationnées à Selloum et Takerboust, deux villages situés un peu plus à l’est sur la RN15 ont été embarquées dans les bennes de camions et emmenées jusqu’à la gare de Maillot. Là, et sans ménagement, ces familles sont déchargées comme on décharge le sable», dira encore Brahim, tout ému.
Bien entendu, le village fut détruit mais, les abris et quelques maisons ont survécu et serviront pendant des années jusqu’à l’indépendance comme lieu de repli et de repos pour les moudjahidine.
Après l’indépendance, plusieurs familles qui s’étaient dispersées un peu partout à travers les villages de Selloum, Chorfa, Ath Mansour, Ahnif et Ath Yevrahim, ont regagné leurs demeures qu’ils ont restaurées. Une école a été construite dès 1963 pour permettre aux enfants du village d’être scolarisés. Mais plus tard, et voyant le village Raffour dédié presque entièrement aux deux villages des Iwaquren, «Taddarat n Lejdid» et «Ighzer», grandissait et bénéficiait de toutes les commodités qui manquaient affreusement en haute montagne, presque toutes les familles ont fini par rejoindre Raffour. Et durant la décennie 1990, le terrorisme que les villageois de l’Arch Iwaquren avaient combattu de toutes leur forces, avait fini par pousser les derniers habitants des deux villages de haute montagne à quitter les lieux.

Le village «Taddart n Lejdid» renaît de ses cendres
Et ce n’est qu’avec le retour de la paix ; et bien qu’ils continuaient à cultiver leurs terres même pendant la période du terrorisme, en organisant des montées collectives chaque vendredi, que les villageois ont fini par se réinstaller petit à petit ; des maisons sont restaurées, d’autres reconstruites et d’autres encore, nouvellement construites…
Et aujourd’hui, le village devient de plus en plus attrayant surtout en été où plusieurs familles choisissent d’y passer leurs vacances, — l’aubaine leur ayant été donnée durant la période de la Covid-19 et les fameux confinements obligatoires dans les villes —, et certains évoquent même la nécessité de réhabiliter l’école primaire au cas où des familles voudraient inscrire leurs enfants sur place.
Le village est d’autant plus attrayant que depuis plusieurs mois, des actions de volontariat sont organisées chaque vendredi, avec la mobilisation de tout les villageois grâce aux deux associations citées plus haut, notamment le président de l’association «Tadukli Taddart n Lejdid Iwaquren», Brahim Amarouche et d'autres membres comme Yacine Hamraoui, Mohand Bensalem, …
Vendredi dernier et après un recueillement au carré des martyrs où sont enterrés les ossements de 45 chahids du village, — un cimetière inauguré pour l’histoire et d'après certains enfants du village rencontrés ce vendredi, un certain 13 août 1965 en présence des colonels Krim Belkacem et Ouamrane, ainsi que le moudjahid Slimane Amirat — ; une waâda a été offerte à la mémoire des martyrs du village et de tous les martyrs de la révolution 1954-1962. Une waâda composée de couscous avec de la viande et arrosé avec de la sauce à légumes, a été, en effet, offerte aux milliers de villageois et à tous les convives dont les moudjahidine, mais également le wali de Bouira, le P/APW, les maires et élus de Saharidj et de M’chedallah, ainsi que les élus APW, et autres amis conviés pour l’occasion. Le tout dans la pure tradition faite de convivialité et la joie des retrouvailles entre les enfants du village.
En tout cas, de par l’emplacement du village Taddart n Lejdid, toute personne qui s’y trouverait peut jeter un regard sur la plaine avec cet éventail de vues qui va depuis les Ath Yaâla de Bechloul et les Ath Leksar, jusqu’aux Ath Abbas à Ighil Ali en passant par Boudjlil, Ath Mansour, Thamellahth, Ath Vouali, Tazmalt, Raffour et Vouaklane, Ighrem, El Adjiba et les lointaines chaînes des Bibans au relief captivant. Tant de villages et de paysages que les yeux peuvent brasser d’un seul hochement de tête avec, ne l’oublions pas, la majestueuses chaîne du Djurdjura et son sommet Lalla Khadidja qui couvre le village de dos comme pour le protéger et le mettre en sûreté. Avouez que le coup de foudre pour les lieux est des plus garantis.
De là à penser à créer une zone touristique tout près de ce village des plus accueillants et des plus hospitaliers, il n’y a qu'un pas à franchir et la réussite du projet est également des plus certaines.
Y. Y.

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