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Foot bonheur !

«Il n’y a pas un endroit au monde où l’homme est le plus heureux que dans un stade de football», écrivait Albert Camus. Ajoutons qu’il n’y a pas un autre lieu au monde où les Algériens sont les êtres humains les plus heureux de la terre que dans les rues de leurs villes et villages, à pied, en voiture et même à moto ! Heureux, non, plutôt submergés d’un bonheur fou, transfigurés, fous à lier, liés entre eux par une joie volcanique, cathartique. Et tellement irrationnelle car leur bonheur d’un soir d’hiver est même porteur de risques pour leurs vies, mais qu’importe le danger de tomber du toit d’une voiture ou d’en heurter une autre ou un piéton qui traverse la rue, lui aussi ivre d’un bonheur cosmique !
Les scènes de transe et d’hypnose collectives auxquelles on est déjà habitués ont eu lieu cette fois-ci après l’inédite et inespérée victoire de l’équipe nationale A’ au Qatar. Une escouade d’artistes vêtus de l’armure des gladiateurs, mais qu’on ne soupçonnait pas au départ d’être si bien armée et assez blindée pour gagner la Coupe arabe de la Fifa, sous les yeux du monde et après des joutes homériques. C’est leur victoire inouïe et leurs prestations dignes d’une tragédie grecque qui ont provoqué dans les rues d’Alger et ailleurs dans tout un pays en liesse ce tsunami de bonheur qui a même fait des morts et des blessés ici ou là.
Mille, cent mille mots et des superlatifs à foison ne suffiraient pas pour décrire les vagues humaines déferlantes et les convois de véhicules transformés en bolides et en geysers de décibels ! Il serait même vain pour décrire le tsunami de bonheur qui s'est emparé de nos compatriotes du bled et de la diaspora. Liesse, ferveur, exultation, explosions au sens pyrotechnique et psychologique, communion, symbiose : le bonheur des Algériens était orgasmique, du genre cosmique ! Et même quand sa joie est parfois létale, ce peuple transfiguré est beau à voir quand il est heureux, et qu’il le montre avec les éclats d'une gigantesque bombe à fragmentation ! Il devient même beau, beau, beau à se faire aimer un moment comme un enfant turbulent mais ô combien adorable, mais parfois si irritant. À Alger, la Grande-Poste est devenue l'épicentre du séisme qui a secoué de joie des millions d'Algériens à travers le monde. Elle est même le concentré d'images d'une Algérie heureuse dans un souk en délire. Un charivari de voitures aux klaxons fous. Et, comme toujours, des habitacles bondés de jeunes et de moins jeunes ivres de bonheur jusqu'à prendre des risques fous pour leur intégrité physique. Mais qu'importe, le vin du bonheur de la victoire finale et d’un titre en or est tiré, et il fallait alors le boire. Jusqu'à l'enivrement, jusqu'au coma éthylique du bonheur d'être enfin quelque chose dans le football mondial, avec désormais des titres de champion d’Afrique et du monde arabe, à cheval donc sur deux continents avant d’aller défier le reste du monde au Qatar, au cours du prochain automne.
En réalité, le football n’apporte pas le bonheur durable, il n’apporte pas de l’emploi à échelle significative, de la croissance, de la richesse, une amélioration nette du niveau de vie, une augmentation substantielle du PIB et du PNB, une hausse de la scolarité, de la réussite universitaire, etc. Mais il n’apporte cycliquement que joie et plaisir, que souvenirs inoubliables et nuits festives, et ce n’est déjà pas si mal que ça ! Et c’est peut-être essentiel dans la vie des peuples, et notamment dans celles des pauvres, des plus démunis, des déprivés, et même des plus aisés et des plus riches. Et ce bonheur est désormais mesurable, en tout cas pris en compte et intégré dans des indices de calcul !
Le bonheur national brut ou BNB est un indice servant au gouvernement du Bhoutan à mesurer le bonheur et le bien-être de la population du pays. Inscrit dans la Constitution de 2008, il se veut une définition du niveau de vie en des termes plus globaux que le produit national brut. Et il peut s’appeler BNB ou BIB, le Bonheur national brut ou le Bonheur individuel brut. Inventé au Bhoutan (BNB) ou par l’ONU et l’OCDE (BIB). Près d’un demi-siècle après son invention par le sultan bhoutanais, le Bonheur national brut, indicateur qui mesure le bien-être d’une population, a trouvé des applications concrètes.
Et si on mesurait le bonheur plutôt que la richesse ? C’était l’idée un peu heureuse qui avait traversé l’esprit de Jigmé Singye Wangchuck, alors roi du Bhoutan, en 1972. Le concept du BNB était donc né, calqué sur le PIB, outil de mesure traditionnel de la santé économique d’un pays. Depuis, l’idée a fait son chemin, se transformant en véritable indicateur économique, repris sous diverses formes par des organisations internationales.
« Le bonheur national brut est plus important que le produit national brut », avait déclaré en 1972 le roi du Bhoutan, âgé de tout juste 16 ans à l’époque, dans une interview au Financial Times. Une idée moins farfelue qu’il n’y paraît. Le souverain adolescent adaptait en réalité à sa sauce royale une théorie qui commençait à faire son chemin à mesure que la mondialisation s’accroissait. À la veille du premier choc pétrolier, certains économistes avaient déjà exprimé des réserves sur le modèle économique productiviste et consumériste et sa valorisation par les indicateurs économiques traditionnels comme le PIB ou le PNB. Jigmé Singye Wangchuck ne plaisantait pas quand il avait fait cette annonce médiatique. Très vite, il s’est attelé à faire de son BNB une réalité. Plus facile à dire qu’à faire cependant : il lui faudra attendre 1998 pour mettre à bien son projet d’indicateur du BNB, présenté officiellement au reste du monde lors du Sommet du Millénaire Asie-Pacifique. L’objectif est simple : concilier les valeurs spirituelles du bouddhisme, synonymes de bonheur intérieur avec la possibilité d’une croissance durable et écologique.
Au-delà de son appellation un peu angélique, le BNB est un indicateur très sérieux. Il résulte d’un calcul qui repose sur quatre critères : « croissance et développement économique », « conservation et promotion de la culture », « sauvegarde de l’environnement et utilisation durable des ressources » et « bonne gouvernance responsable ». Concrètement, il s’agit donc d’associer la croissance traditionnelle à des notions de durabilité et de collectivité, là où le PIB universel ne prend en compte que la production de valeur des entreprises d’un pays. Et, peut-être, d’ajouter un jour, l’IFF, l’indice du foot fou, qui, en Algérie, a les accents, les couleurs, les bruits et la fureur du « One, two, three, viva l’Algérie ! » Bref, le foot bonheur.
N. K.
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