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Enrico Mattei

Visite d’État à Alger du Président italien Sergio Matarella, dans un contexte politique particulier marqué par une crise sans précédent dans les relations algéro-françaises. Séjour qui a vocation à inscrire l’essor des relations entre l’Algérie et l’Italie dans une perspective de recul inéluctable des échanges entre l’Algérie et la France. Renforcement de la position de l’Italie, affaiblissement de celle de la France. Ce mouvement de balancier stratégique est à apprécier à l’aune d’un symbole puissant de la relation historique entre l’Algérie et l’Italie, le légendaire Enrico Mattei, père de l’industrie pétrolière italienne indépendante. Ce grand souverainiste qui a aidé le Gouvernement provisoire de la révolution algérienne (GPRA) à se présenter en position de force aux négociations sur le futur énergétique de l’Algérie indépendante face aux représentants de la France coloniale. Ce puissant symbole de l’amitié historique entre les peuples italien et algérien voit désormais son nom gravé davantage dans la mémoire collective des Algériens à travers un jardin à Alger. On ne pouvait trouver meilleur symbole pour cultiver l’amitié entre l’Algérie et l’Italie ! 
L’histoire des relations amicales entre l’Italie et l’Algérie aura toujours pour symbole fort commun Enrico Mattei, père du souverainisme industriel italien, grand résistant contre le fascisme et le nazisme et pourfendeur implacable de la colonisation française. C’est que le fondateur de l’ENI, qui a combattu farouchement l’oligopole des Sept Sœurs — une formule qu’il a inventée pour désigner les trusts pétroliers du milieu du XXe siècle —, a joué un rôle déterminant pour le futur énergétique de l’Algérie. Sa défense des intérêts stratégiques de l’Algérie, inscrite dans une perspective de promotion historique des intérêts italiens dans notre pays, fut au cœur de mouvements de solidarité qui s’étaient formés en Italie grâce à la contribution de différentes personnalités nationales. À commencer par Giorgio La Pira, maire de Florence et organisateur des Colloques sur la paix auxquels un responsable historique du FLN, Ahmed Boumendjel, fut autorisé à participer, en 1958, comme représentant de l’Algérie révolutionnaire. En Italie, la compréhension et la sympathie pour la cause algérienne dépassaient les clivages politiques. En faveur de l’Algérie indépendante s’exprimaient alors les partis et les syndicats de gauche, mais aussi une bonne partie du monde catholique démocrate, auquel appartenait Enrico Mattei lui-même. Pendant la Guerre de Libération nationale, les partis démocratiques laïques à leur tour – notamment le Parti socialiste, le Parti Social-démocrate et le Parti républicain – avaient constitué un « Comité italien pour la paix en Algérie » à la fin de 1960, qui publia d’autre part dix numéros d’une revue dénommée tout  simplement Algeria.
Outre un rôle tout aussi important et engagé de journalistes renommés, à travers leurs nombreux reportages sur la guerre d’Algérie, ainsi que sur le mouvement de solidarité qui se développait en Europe occidentale, il faut rappeler celui du maire de Florence, Giorgio La Pira. Un intellectuel catholique qui organisait dans sa ville les Colloques sur la paix, à l’occasion desquels, en 1958, 1960 et 1961, il souleva entre autres la question algérienne. Des intellectuels étaient également très actifs à l’époque. Il suffit de rappeler quelques noms : Giovanni Pirelli, grand ami et traducteur de Frantz Fanon, et Giangiacomo Feltrinelli, qui publiait des traductions d’ouvrages de dénonciation de la situation en Algérie. 
Quelles étaient les motivations profondes du soutien courageux des forces politiques, syndicales et intellectuelles, et de l’attitude d’Enrico Mattei ? La source se trouvait dans la mémoire, d’ailleurs très récente à l’époque, de la résistance italienne – en tant que guerre de libération – en Italie de 1943 à 1945, et l’héritage du Risorgimento, comme mouvement pour l’unification et l’indépendance nationale. Enrico Mattei était lui-même le symbole et la synthèse de tous ces éléments : démocrate et grand patriote italien, il fut en effet un dirigeant important de la Résistance au nazifascisme, et, comme beaucoup d’Italiens de sa génération, avait reçu une formation imprégnée des valeurs du Risorgimento, de l’identité italienne et de l’unité nationale.
Sa vision était avant tout politique. Une approche nouvelle, innovante, selon laquelle le processus d’indépendance des pays de l’Afrique aurait un impact profond sur les relations internationales. Enrico Mattei croyait fortement en la nécessité pour l’Italie de développer une relation plus étroite et équilibrée notamment avec les pays de l’Afrique méditerranéenne, en raison des liens historiques mais aussi de la complémentarité des économies, complémentarité que le Président algérien Abdelmadjid Tebboune avait soulignée lors d’une interview télévisée précédant la visite à Alger de son homologue Sergio Matarella. 
Enrico Mattei avait l’intuition que l’Italie n’avait pas d’ambitions globales ni régionales, mais qu’elle pouvait, en raison de sa proximité géographique, de son histoire ainsi que du niveau de technologie intermédiaire qu’elle avait développé, apporter une contribution importante au développement des pays de nouvelle indépendance, notamment dans l’Afrique méditerranéenne au cœur de laquelle se situe l’Algérie. L’Italie n’était pas riche en matières premières ou en puissance militaire, mais elle était bien pourvue en matière de créativité industrielle et de savoir-faire technologique, notamment dans le domaine des PME-PMI.
Enrico Mattei a été, dans ce sens, le symbole et la synthèse de l’Italie de cette époque-là, et de la capacité de compréhension et de sympathie à l’égard des situations post-indépendances qui caractérisaient les pays voisins de la rive sud de la Méditerranée. En termes de politique pétrolière, Enrico Mattei avait conçu et mis en œuvre un concept nouveau, tout à fait politique et révolutionnaire, de répartition équitable de la production entre pays producteurs et compagnies pétrolières. Son objectif était d’assurer l’autonomie énergétique de l’Italie, en fonction du soutien à sa croissance industrielle impressionnante au cours des années 50 et au début des années 60. Il était bien conscient que la relation avec les pays producteurs devait être axée sur l’idée de leur permettre de consacrer la plus grosse part de la production pour leurs propres besoins, et bénéficier en même temps du transfert de savoir-faire. Cette vision, Mattei l’a mise en œuvre singulièrement dans ses rapports avec l’Algérie à la veille de son indépendance. Il répétait à l’époque qu’il n’aurait jamais accepté des concessions pour ENI dans le Sahara algérien tant que le pays colonisé ne serait pas indépendant. Et pour joindre l’acte à la parole, il avait donné des conseils judicieux et des renseignements précieux au GPRA, avec un impact significatif sur le déroulement du volet énergétique des négociations d’Évian.
Fort malheureusement, Enrico Mattei, qui a eu la satisfaction d’assister à l’indépendance de l’Algérie, n’a pas pu connaître en revanche l’Algérie indépendante. Une visite de travail et des projets de collaboration étaient en préparation au moment de sa mort, le 27 octobre 1962, dans un mystérieux accident d’avion causé par une bombe préalablement posée dans l’avion qui le conduisait de Catane vers Milan. 
Aujourd’hui, outre le square public qui porte son nom à Hydra, sur les hauteurs boisées d’Alger, le gazoduc qui relie l’Algérie et l’Italie à travers la Tunisie s’appelle tout simplement Enrico Mattei, même si la dénomination officielle est Transmed. Il y a dans cela une forte valeur symbolique puisque le gazoduc représente et matérialise un pont énergétique entre les deux pays, dont Mattei a été le premier bâtisseur.
N. K.

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