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Algérie-France : de nouveau la crise !

Alger et Paris, entendez l'ex-colonisateur et l'ancien colonisé, peuvent-ils avoir des rapports normaux alors qu'ils ont des liens si particuliers ? Cinquante-neuf ans après l'indépendance, la question est toujours d'actualité. Et d’actualité brûlante, cette fois-ci ! 
Les deux pays ont souvent entretenu des relations cyclothymiques. Avec des troubles aigus de l'humeur des uns et des autres. Et des crises mémorielles parfois mémorables, de part et d'autre, favorisant une alternance de périodes d'euphorie et des temps de dépression plus ou moins profonde. Dans les phases d'optimisme raisonnable et de satisfaction modérée, la raison des affaires reprend alors le dessus. Et dans les étapes de pessimisme excessif et d'irritabilité partagée, les gros contentieux et le poids mémoriel lestent plus ou moins lourdement la relation bilatérale. Et freinent pour un temps les élans de la coopération gérée dans des cadres de travail méthodiques.
Et bis repetita ! Pire que de l’eau dans le gaz, la tempête, à nouveau ! Les relations entre la France et l’Algérie, soumises régulièrement à des cieux de traîne et des orages cycliques, rechutent dans une nouvelle zone de forte turbulence. Cette fois-ci après les paroles particulièrement dures et provocatrices prononcées le 30 septembre dernier par le Président Emmanuel Macron contre un « système politico-militaire » algérien « fatigué » et qui se légitimerait par l’usage systématique d’une « rente mémorielle ». Un chef de l’État français qui semble avoir prémédité ses propos sans en soupeser toutefois toutes les conséquences, surtout quand il fait mine de s’interroger sur l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation française. Et lorsque il croit également rendre un service politique à son homologue algérien en le présentant comme prisonnier ou otage d’un « système qui est très dur ». L’allusion à l’ANP est ici à peine voilée, avec la suggestion qu’elle serait l’éventuelle et unique source de blocage de l’essor de la coopération entre les deux pays. L’idée d’opposer le Président Abdelmadjid Tebboune, chef suprême des Forces armées et ministre de la Défense, à l’ANP, est clairement sous-jacente. En tout cas, c’est ce qui a été compris ici ou là des propos du chef de l’État français.    
Sans surprise, la réaction du Président Abdelmadjid Tebboune ne s’est pas fait attendre. Et elle fut énergique et cinglante : le communiqué de la présidence de la République dénonce des « propos irresponsables » et une « ingérence inadmissible dans les affaires intérieures » de l’Algérie. Le chef de l’État algérien a aussitôt rappelé son ambassadeur à Paris et interdit le survol de son espace aérien aux avions militaires français participant à l’opération Barkhane, au Mali, en guise de premières représailles. 
Les déclarations du Président Emmanuel Macron s’inscrivent logiquement dans un contexte politique français marqué par ses propres ambitions électorales indexées sur l’élection présidentielle de mai 2022. Un scrutin crucial pour le huitième chef de l’État sous la Vème République, et dont un des thèmes principaux de campagne sera sans conteste l’immigration, et notamment les flux incessants de clandestins en France. Elles sont également à appréhender à l’aune des relations algéro-françaises caractérisées par la récente décision de Paris de réduire de moitié le nombre de visas accordés aux Algériens. Avec, en filigrane, cette idée de gêner davantage la nomenklatura, selon les propres termes du chef de l’État français rapportés par le quotidien Le Monde. Cette décision prise sans préavis et sans concertation avec la partie algérienne est naturellement nourrie par le mécontentement des autorités françaises assez exaspérées par ce qu’elles considèrent comme un manque flagrant de coopération des autorités algériennes, tunisiennes et marocaines en matière d’acceptation de clandestins expulsés de France. 
Voilà pour le contexte particulier des propos du Président Emmanuel Macron. Reste donc à en analyser, sur le fond, certains points. Tout particulièrement celui qui se rapporte à l’inexistence de l’Algérie en tant que nation avant sa colonisation à partir de 1830. Comprendre donc que la nation algérienne serait une conséquence de la colonisation française et que les Algériens formaient auparavant des populations disparates et soumises de surcroît à d’autres colonisations qui ne les auraient jamais cimentées.  
Au sujet de la colonisation, il est indéniable que le Président Emmanuel Macron a une position bien en avance sur celles de tous les politiques français sous la Ve République. Candidat à l’Elysée en déplacement à Alger, il avait trouvé «inadmissible de faire la glorification de la colonisation» qu'il avait «condamnée comme un acte de barbarie». Il y avait même vu un «crime contre l'humanité» et, de ce fait, exhorté l'État français à «présenter des excuses à l'égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes», c'est-à-dire les «crimes terribles, la torture, la barbarie». Comme on l’avait constaté, le candidat Macron avait une position audacieuse et inédite en matière de qualification des crimes de la colonisation. Il avait reconnu « ces crimes contre l'humanité» et s’était montré prêt à présenter des excuses au peuple algérien en cas d’élection à la présidence de la République française. Ce qu’il se garda bien évidemment de faire, se sentant obligé par la suite de tenir compte du poids mémoriel en France et de sa traduction en termes de dividendes ou de pertes électoraux. 
Au point de se demander aujourd’hui si la nation algérienne a existé un jour ! Alors qu’elle a existé, dans diverses configurations territoriales, depuis au moins 2 500 ans. En 202 av. J.-C., le pays fut réunifié sous l’étendard du roi berbère Massinissa à la faveur de la bataille de Zama qui vit s’affronter les deux empires de la Méditerranée : Carthage et Rome. Massinissa, vainqueur avec Rome, fusionna les deux royaumes berbères et créa un nouvel État : la Numidie avec pour capitale Cirta, Constantine depuis l’an 303 de notre ère. La Numidie avait pour frontières à l’est l’oued Mellègue (Tunisie actuelle), et à l’ouest le fleuve Moulouya (Maroc actuel), soit à peu près les frontières de l’Algérie actuelle, comme le rappela un jour de 1998 l’historien et archiviste algérien Abdelkrim Badjadja. 
Supposons donc, derrière le Président Emmanuel Macron, que la nation algérienne n’a jamais existé avant l’arrivée du corps expéditionnaire militaire conduit par le comte de Bourmont. Comment, dans ce cas, la France impériale a-t-elle pu signer 59 traités de paix et de commerce avec cette nation qui n’existait pas ? Et pourquoi ce pays « inexistant » avant l’invasion coloniale a-t-il signé 239 traités similaires avec différentes nations maghrébines et occidentales, dont la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Espagne et la Hollande ? Et, une fois Alger conquise, le comte de Bourmont s’était emparé du trésor en lingots d’or et en monnaie d’argent de la Régence d’Alger qui fournissait par ailleurs en blé la population et les armées françaises en expédition. 
Appréciées dans le contexte politique français et dans celui des rapports bilatéraux, les déclarations du Président Emmanuel Macron ont donc provoqué une nouvelle crise dans les relations algéro-françaises. Celles-ci sont dans une nouvelle impasse dont on ne soupçonne pas encore la profondeur. Mais aussi profonde qu’elle puisse être, la nouvelle crise finira par se résorber, et les deux pays reviendraient à la raison, celle de la coopération dans divers domaines d’activité. Dans le respect mutuel et la logique gagnant-gagnant. 
Les relations entre l’Algérie et la France sont déterminées par l’Histoire, la géographie, la langue, les intérêts économiques et surtout les liens humains entre les deux peuples. Entre nos deux pays, il y a certes le sang versé hier mais il y a aussi le sang mêlé aujourd’hui. Et on ne doit pas, de part et d’autre, oublier que la paix se fait entre ennemis et pas entre amis. Comme ont su le faire Allemands et Français  malgré  le Rhin de sang entre eux ! 
N. K.

 

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