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Rubrique Lettre de province

Condition féminine : un demi-siècle d’ostracisme injustifié

Contrairement aux propos rassurants émanant notamment des prédicateurs de mosquées et de ceux qui nous parviennent à partir des associations de la société civile, la misogynie a redoublé de férocité et s’exprime dorénavant d’une manière violente, quel que soit le motif de l’agresseur. Or, en dépit des outrages qui se commettent sur la place publique, les réactions demeurent rares quand la lâcheté des passants ne les incline pas vers une sorte d’approbation muette. C’est par conséquent ce genre de postures passives qui, en quelque sorte, interpelle. En somme, pourquoi tout ce qui est susceptible de nous inquiéter au sujet du statut de la femme est aussitôt perçu comme attentatoire à son origine et aux « valeurs morales » de la société ? Celles que l’on suppose gravées dans le marbre et auxquelles il serait inapproprié de déroger. En tout cas, c’est ainsi que nos obscurs législateurs en perçoivent le sens. C’est-à-dire demeurer vigilant quant aux interprétations en se gardant de surcroît de perturber la tradition.
À ce sujet, il est significatif que le Parlement ait pu décider de ne point légiférer spécifiquement sur les droits de la femme alors que le code de la famille est, à lui seul, en mesure de fournir les garanties à l’ensemble de la cellule familiale et cela à l’abri de quelques spécificités. C’était justement cet argumentaire datant de 2015 que le Sénat avait prôné pour clore tous les débats à ce sujet et qui en dit long sur les prétendus scrupules déontologiques des responsables politiques. En instaurant, en effet, un quasi-gel sur une loi fondamentale, ne contribuèrent-ils pas à l’immunité de rapports agressifs dont sont toujours victimes les femmes ? C’est dire que le combat émouvant des Algériennes continue à être abordé comme une ruse pour leur émancipation et de fait leurs revendications étaient vite qualifiées de « cheval de Troie » susceptible de changer les codes de la religion. Une suspicion inutile et même insultante à l’égard de nos consœurs lorsqu’on examine le statut de la femme tunisienne dont les certitudes religieuses n’ont pas pris le moindre défaut.
La curieuse approche des autorités religieuses et politiques de la Tunisie vis-à-vis de laquelle l’on persiste dans le rejet s’expliquerait peut-être par les péripéties historiques de chacun des pays puis à l’émergence des élites dirigeantes dont les profils diffèrent. Ce fut probablement à la fois la culture religieuse de chacune d’elles qui fit le reste. En clair, doté d’inspirations cultuelles différenciées, le voisin fit le saut qualitatif très tôt alors que l’on s’est contenté, pour notre part, de restaurer les archaïsmes de la tradition sociale sans aucune préoccupation de ce qu’exigeaient les temps modernes. À présent, nous sommes encore impuissants à surmonter ce « plafond de verre » qui empêche jusque-là l’accès aux clartés religieuses afin que soient balayés 20 siècles de préjugés. En fait, le premier tabou à briser devrait être la démystification relative aux « aptitudes » sexistes. Celles que les « Adam » de notre tropique présentent comme la preuve de leur supériorité à tenir les rôles de guide ou de leader.
Un demi-siècle d’exclusion de l’espace public, en dépit de l’héroïsme patriotique de certaines d’entre elles, ne témoigne-t-il pas d’un gravissime déni de justice ? Celui sur lequel s’était élaborée la prépondérante discrimination des femmes que des castes politiques exercèrent avec pour seule fin la possibilité de s’approprier les responsabilités politiques et ne concéder aux femmes que le statut de suffragettes dans les appareils partisans. C’est de la sorte que le timide rétablissement des libertés politiques intervenu en octobre 1988 n’a guère permis aux collectifs de militantes de s’organiser qu’en associations caritatives ! En effet, exclues des enjeux cruciaux de cette époque (1989), elles finirent par ne représenter que des microcosmes à la visibilité quasi-confidentielle que le pouvoir d’État manipula justement mais jamais dans l’intérêt de la promotion de leur statut. Ayant eu besoin de se faire une « religion » concernant la question relative au code de la famille, celui-ci parvint à embrigader de multiples réseaux associatifs dont il fit ensuite de quelques militantes des députés certes visibles, mais dont l’obédience islamo-conservatrice se chargea essentiellement à recruter des compagnes, lesquelles n’hésitaient pas à se déployer avec une étonnante agressivité dans la défense des traditions. C’était notamment dans ce décalage entre la possibilité d’une abrogation de la vieille procédure et le supposé réformisme distillé selon les prédispositions des néo-militantes que naquit chez la plupart de ces dernières le sentiment d’avoir été fourvoyées. Car, à l’évidence, ce n’était plus le type d’engagement qu’elles espéraient. Exigeant de faire de la politique un exercice à plein temps et surtout à l’écart des condescendants parrainages, elles voulaient justement mieux peser dans les rapports de force et devenir autonomes dans tous les débats dont les audiences seraient nationales. Sauf que leur « cahier de doléances » avait vite pris, dans l’esprit des législateurs obtus, celui d’un « manifeste de la dissidence féminine », au point de réactiver publiquement les références moyenâgeuses de la Charia pour clore les débats.
Depuis, la condition féminine continue à traverser d’insondables échecs. Pour preuve, le harem, comme statut social, et la Charia, en tant que référence religieuse, demeurent les verrous qui traquent les Algériennes en quête d’émancipation.
B. H.
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