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Rubrique Hommage

Va Fouad, tu as laissé ta place propre !

Par Kamel Bouchama, auteur
Mercredi 5 juin, deuxième jour de l’Aïd-El-Fitr, nous étions nombreux au cimetière de Dely-Ibrahim, non pas pour te dire ce perpétuel «Adieu», formule qu’on lance avec une charge d’affection et d’affliction à ceux qui nous quittent, mais pour rendre hommage à l’Homme que tu étais, dans ses valeurs intrinsèques. Nous étions tous là, et étions nombreux — il faut le souligner —, nous tes amis de longue date, aux côtés de beaucoup de journalistes, tes collègues de profession. Oui, nous étions tous là..., là où ton amitié grandira sous notre compassion pour toi et ta famille et nous donnera ses leçons ! Oui, nous étions tous là, nous qui t’avons apprécié de par ton engagement pour le progrès et la réussite de notre pays, de par ta détermination au travail acharné et ton dévouement aux causes justes et, enfin, de par l’amitié et le respect de l’autre que tu nous manifestais, constamment, sincèrement, spontanément... au quotidien. 
La nouvelle de ta disparition s’est répandue tôt le matin, comme une traînée de poudre, en ce 5e jour du mois de juin. Elle nous est arrivée tel un ouragan que rien ne laisse présager. C’est vrai que la terrible maladie te rongeait, chaque jour davantage, mais ta bonhomie coutumière, de même que ta fougue et ta passion naturelles dans le labeur, jusqu’au dernier jour de ta vie, nous permettaient de croire que le pire, te concernant, n’était qu’illusion..., ce pire, hélas, qui a frappé à ta porte, en cette matinée de l’Aïd. Ainsi, ce mercredi 5 juin, au cimetière de Dely-Ibrahim, entouré d’une foule d’amis de la presse et de tes proches, et malgré le rituel agencé pour tes funérailles, bien des gens ne croyaient pas que tu étais bel et bien passé de vie à trépas.  Car, pour tout le monde, c’était vite, très vite... ce départ, y compris pour moi, qui n’arrive pas à réaliser que tu ne sois plus de ce monde, en un laps de temps allant de notre dernier rendez-vous dans ton bureau à cette rencontre avec l’ultime parole du destin.
Mais que veux-tu, frère Fouad, c’est la loi de la mort qui a réclamé ton âme tout autant que ton corps, et ainsi ton existence, comme celle de toutes les créatures de la terre, a été marquée par un début et..., inévitablement, une fin. Alors, quand on a été un Homme de ta trempe, et que tout disparaît, sache qu’il ne restera pour nous consoler que ta grandeur d’âme, ton respect et tes souvenirs, de meilleurs souvenirs pour ce qui te concerne. N’est-ce pas, comme disait Charles Baudelaire, que :
«C'est la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre ;
C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir
Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,
Et nous donne le cœur de marcher jusqu'au soir...
»
Fouad,  ce mercredi 5 juin, tu as atteint le dernier jour de ta vie, et les honneurs funèbres qui t’ont été rendus  avaient ce goût particulier..., ce goût d’une grande émotion entourée de chaleur fraternelle. C’est là l’ambiance d’adieu des gens simples, honnêtes et forts de par leur caractère, que la nature réussit toujours à mettre en exergue dans leur vérité. Et ce merxredi après-midi, le monde, ce beau monde qui était au cimetière de Dely-Ibrahim contredisait ce qu’un jour, le Duc de La Rochefoucauld affirmait : «La pompe des enterrements regarde plus la vanité des vivants que l’honneur des morts.» Pour notre part, nous disons : non, non et non ! Nous ne partageons pas cette idée, car à l’heure de la mise en terre de notre frère Fouad Boughanem, tout le monde avait cette pieuse pensée pour le journaliste-combattant, pour le père, pour l’ami, enfin pour l’Homme de conviction, de principes. Les gens qui étaient dans ce cimetière ne sont pas venus pas pour une rencontre de palabre, «comme à l’accoutumée», ils sont venus pour accompagner à sa dernière demeure un frère qui leur était cher, avec qui ils ont milité et souffert, mais avec qui ils ont eu surtout beaucoup de bonheur et de satisfaction de se savoir libres et indépendants dans une presse qui a été jugulée par des pharisiens dont la mission était de plaire aux gens du système. Oui, ils étaient tous là, sans trop de pompe, justement, parce que ceux qui étaient là savent comme le savait Fouad Boughanem que les gens passent, que les fortunes disparaissent, mais que le souvenir de l’Homme honnête, brave et sincère demeure…
Que dire sur toi, encore frère Fouad ? Eh bien, énormément de choses, en cette douloureuse circonstance, qui demeure une occasion propice à l’affirmation de mes meilleurs sentiments à ton égard, sans risque de tomber dans le dithyrambe. Allons donc, dans le domaine de la presse que tu chérissais par-dessus tout, peut-être bien avant ta famille... Faisons une halte dans ce domaine où tu «incarnais l’expérience et l’aptitude à réagir à point nommé aux situations délicates», comme l’écrivait, te concernant, mon ami Abdelmadjid Kaouah. Je partage totalement cette perception juste que je confirme d’ailleurs par celle de Nacer Belhadjoudja, ton autre frère et collaborateur au quotidien dont tu étais le gestionnaire, Le Soir d’Algérie : «Depuis mes débuts dans la profession, il nous disait toujours de prendre du recul quel que soit le sujet que nous devions traiter.»
Vois-tu Fouad, je suis encore sous le choc de ta disparition..., mais je me remémore, dans la douleur et la compassion, des pensées qui s’enchevêtrent et se bousculent encore dans ma tête. Je me remémore ces discussions passionnées qui nous réunissaient autour de sujets brûlants. Je me remémore la toute dernière, il n’y a pas si longtemps  – juste après le quatrième vendredi du Hirak – où tu me donnais la réplique, serein, dans un calme olympien qui t’était coutumier, alors que je bouillonnais devant toi. Tu me disais d’un ton grave, sans faux-fuyant :
- «Oh ! Kamel, détrompe-toi, c’est vrai, les marches vont se perpétuer dans le temps, et elles vont prendre de l’âge..., mais ceux-là, ceux d’en-face, ont la carapace dure... Ils ne vont pas lâcher de sitôt, du fait que plusieurs parmi eux sont enfoncés jusqu’au coup dans de grandes et juteuses affaires..., et là, ils feront tout pour défendre leurs propres intérêts, pas ceux du pays..., bien entendu ! Ainsi, ceux-là peuvent aller jusqu’au pire..., au moment où le peuple, mû par des principes de profondes réformes, veut mener le bateau Algérie vers une nouvelle destination...» 
Je t’ai écouté Fouad, avec une certaine gêne, me disant en mon for intérieur, soit que tu étais complètement dépité par ce qui se passe et par le mépris affiché par les tenants du système à l’encontre du peuple, soit que tu avais accès à «d’autres informations» auxquelles je ne pouvais y parvenir... Mais voilà qu’un autre jour, juste après la fin du règne de Bouteflika, où l’on se reformulait les mêmes préoccupations, lors d’une brève entrevue..., brève évidemment, parce que je sentais en toi cette lassitude due à la maladie que tu gérais stoïquement, tu m’as dit :
- «Tu vois, mon frère qu’ils s’obstinent à ne pas vouloir écouter le peuple... La preuve est faite : la force de ce système consiste à souffler le chaud et le froid, en mettant sous le boisseau les articles 7 et 8 de la Constitution, prônés il y a quelques jours, avec l’article 102. Ils font ça, parce que tout simplement  ils ont la force de leur côté ! Allah yestar lebled !!»
Effectivement, me suis-je dit..., Fouad a raison. Ceux-là ne désemparent pas. Ils tiennent mordicus à leurs fauteuils, à leur autorité, à leurs prébendes. 
Alors, la voix du peuple «Vox populi, vox dei », au large ! Ce n’est qu’un slogan élevé aujourd’hui au rang d’article de foi politique. Pas plus !
Ainsi, au vu de ce qui se passe actuellement en notre pays, même si nous croyons fermement, Fouad et moi, et les quarante millions d’Algériens, que le peuple est capable de changer son destin – et il le changera inéluctablement «bi idhnillah» – «il ne faut pas sous-estimer l’intelligence politique, la violence, le cynisme et aussi la base sociale des régimes autoritaires ébranlés par la mobilisation démocratique», écrivait le Pr. François Bayard, expert et auteur de plusieurs ouvrages sur les évolutions politiques en Afrique. En d’autres termes, cet expert des problèmes de chez nous  veut nous dire  ce que tu m’as toujours affirmé, mon frère Fouad, depuis le début de notre Hirak : 
- «Ne pense pas que le pouvoir en place va lâcher à la moindre contestation du peuple !»
Et de là, comme tu l’avais si bien présagé, peu avant ton départ vers Allah, le Seigneur des mondes, nous voilà face à la surdité abjecte de ce pouvoir qui nous assure qu’il n’y a aucune volonté d’avancer. Car, en prenant constamment comme caution  le Conseil constitutionnel, un «organe» présentement inexistant, sinon impuissant et stérile, il veut nous dire : «J’y suis, j’y reste !». Pour ce faire, il utilise, dans un jeu de rôles, un «lecteur» qu’il a élevé au rang de chef d’État, pour jouer sa partition. Alors, bonjour les dégâts... Et sa dernière sortie  a été l’inconcevable déception au cours de cet Aïd où notre supposé chef d’État nous a servi le même plat, en guise d’important discours. Un plat insipide, indigeste  parce que... réchauffé. Franchement, son discours a été un non-événement, car, comme disait Jean Antoine Petit-Senn (1792-1870), poète lyrique franco-suisse, dans une de ses  citations : «Combien d'orateurs semblent ne parler que pour prouver qu'ils devraient se taire !»
Vois-tu, Fouad, j’ai voulu ne pas t’encombrer avec nos problèmes, toi qui a terminé ta mission ici-bas et t’apprêtes à te reposer calmement auprès de ton Seigneur. Mais te sachant parti très inquiet par ce qui se passe en ces moments critiques en ton pays, je veux te rassurer que le peuple est déterminé à aller jusqu’au bout de ses peines pour annihiler les restes de la dérive autoritaire et faire oublier le bilan catastrophique du feu régime de Bouteflika, afin de planter les jalons d’une IIe République..., dans une Algérie nouvelle, bien heureuse de l’engagement et de la détermination  de ses jeunes qui ont décidé de la mener à bon port.
Ainsi, mon frère Fouad, si j’ose m’exprimer avec une douleur qui m’étreint, après ton départ pour l’au-delà, c’est parce que je veux rendre hommage au militant de la cause nationale que tu fus pendant tant d’années de combat légitime..., un combat auquel tu as donné le meilleur de toi-même, en t’engageant corps et âme dans une bataille qui t’a été imposée par les vicissitudes de la presse nationale et que tu as pu contourner avec sagesse, résolution et, je ne le dirai jamais assez, avec ta sagacité et ta dextérité. 
Ton nom, honnêtement et sincèrement, figurera en lettres indélébiles dans le panthéon de la presse algérienne, cette presse combattante, militante – je le précise – pas dans celui de la presse «satellisée» qui a œuvré et qui œuvre, jusqu’à l’heure, pour ses propres intérêts, tout en  faisant le jeu d’un État obsolète et de son pouvoir... évanescent, loin de l’éthique professionnelle et des valeurs nobles de ce secteur essentiel.
Va Fouad, et, surtout, sois tranquille, tu as laissé ta place propre !
Ton frère Kamel 
 

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