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Rubrique Hommage

Hommage à Abdelmadjid Merdaci

Par Pr Mustapha Maaoui, chirurgien
Tu quoque, toi aussi Madjid ! Après Mehdi Si Ahmed, Yahia Guidoum, Ahmed Bendib, Jean-Paul Grangaud, c’est au tour de Abdelmajid Merdaci de tirer sa révérence. C’est certes la volonté divine, mais que c’est dur à subir ! J’ai suivi à distance le déclenchement de sa maladie, son évolution et parlé au téléphone à certains de ses médecins traitants de Beni Messous. Le pronostic me paraissait bien sombre. Ceci a, malheureusement, fini par se confirmer. En déroulant le film de notre relation amicale qui remonte à loin. Je revoie l’époque merveilleuse de la cité universitaire de Ben Aknoun qui était une très belle cité composée de pavillons harmonieusement répartis à travers un parc immense aux essences rares. La configuration architecturale accordait à certaines chambres (comme la mienne) un « espace vital » plus spacieux que les autres. Ce gain concernait essentiellement les placards de rangements, si utiles… abriter les clandestins, car il y en avait ! J’en avais logé un, illustre, pendant des mois : Abdelmadjid Merdaci, que j’avais connu à Constantine quelques mois plus tôt.

Le 19 juin 1965, « le sursaut révolutionnaire perpétré par le colonel Boumediène entraîna des troubles à Alger. L’Unea entra en dissidence et ses dirigeants entrèrent en clandestinité ». L’ambiance étant devenue délétère à Alger, je décidai de rentrer chez mes parents à Batna. Un ami me déposa à Constantine, devant la Cafétéria. « Cela tombait bien puisque cela me permettait de rendre visite à un ami, inscrit à l’Ecole de médecine de Constantine et coordinateur de la section locale de l’Unea. Je m’engouffrai aussitôt dans la brasserie car la chaleur de la rue était à la limite du supportable. Il y avait très peu de monde à l’intérieur alors qu’au niveau du comptoir se tenait en coin, juché sur un tabouret et adossé au mur comme le font tous les habitués d’un estaminet donné, un jeune homme dont on remarque au premier abord le bleu des yeux qui me toisait en coin. Il était habillé très simplement et très légèrement : pantalon en toile bleu et chemise blanche à manches courtes d’été. Le garçon vint vers moi et prit ma commande. Le jeune homme du comptoir me regardait toujours du coin de l’œil et son attention fut portée à l’extrême quand il m’entendit demander au garçon où je pouvais rencontrer Touchène. Je remarquai sa réaction suspicieuse et je décidai de dissiper toute équivoque me concernant. Je m’adressai directement à Madjid, c’était le prénom du sceptique, en me présentant et expliquant ma seule intention de saluer au passage un ami d’enfance. Les suspicions se dissipèrent très vite. Majid m’informa que l’interessé était parti de façon impromptue la veille à Batna et m’invita à faire un petit détour chez lui avant de me raccompagner à la gare routière. Chez Madjid j’eus l’agréable surprise de découvrir une famille d’une grande originalité : les Merdaci. Leur domicile, une maison de plain-pied sans grandes prétentions mais très accueillante, représentait une oasis de littérature dans un désert culturel. Il y avait des livres partout ! Même la cuisine était une espèce d’annexe de bibliothèque et le vaisselier était plein à craquer d’ouvrages de toutes dimensions. Maspero était le maître des lieux, mais aussi le Seuil ou encore les Editions de Minuit. Je venais de découvrir une place forte de la culture et un des bastions les mieux achalandés avec des essais, des romans et de la poésie. Madjid tint à m’offrir un café avant qu’on ne reparte et entama une discussion sur… les situationnistes. Je ne voyais absolument pas de quoi il s’agissait. Je voulus bien l’attirer sur un terrain plus favorable en évoquant le prochain match qui devait opposer le MO Constantine au MSP Batna mais rien n’y fit. Majid avait de la suite dans les idées. C’était un redoutable débatteur compte tenu non seulement de la qualité de l’argumentaire, mais aussi à cause de son élocution. Il était intelligent, cultivé et passionné comme lorsqu’il essaye de redonner sa place dans la taxonomie révolutionnaire algérienne à Zighoud Youssef (Sidi Ahmed). Quand il débattait, il commettait régulièrement un « délit de confiance » en estimant que l’interlocuteur avait obligatoirement compris le raisonnement à ce stade du discours et qu’il pouvait donc faire l’économie du reste de la phrase qui devenait pour lui superfétatoire. Rajoutez à cela un débit oratoire saccadé où la pensée dépasse souvent la parole, ce qui vous obligeait à lire simultanément sur ses lèvres les sons que vous entendez, à la manière d’un mal-entendant et vous comprendrez que « croiser les mots » avec Madjid n’était pas une sinécure. La méfiance qu’il avait affichée au départ trouvait sa raison dans son combat permanent pour les libertés démocratiques puisqu’il connut les affres des geôles à deux reprises (Constantine 1967 et Tizi Ouzou 1970).
Sociologue, historien, musicologue, Madjid, touche à tout génial, a eu, comme tous les gens de talent, de nombreux jaloux et détracteurs. Il n’en avait cure. Pourtant, quand, à la sortie de son livre Dictionnaire des musiques et des musiciens de Constantine, je l’avais félicité d’avoir écrit une encyclopédie « de 17 pages en comptant la page de garde, la préface, l’index alphabétique et la postface », il se crispa, car il me faisait l’amitié de tenir compte de mes remarques, même quand il savait qu’elles relevaient de la plaisanterie affectueuse.
Erudit d’une rare intelligence, syndicaliste et politologue parfois retors, Madjid pouvait se montrer étonnamment primesautier et candide dans certaines circonstances, car il était d’une innocence et d’une pureté difficilement observables de nos jours. Ainsi, à la veille du 1er novembre 2014, il m’avait invité pour un séminaire d’histoire à Constantine avec Benjamin Stora. Il m’avait téléphoné pour me dire qu’il viendrait m’attendre à Aïn-el-Bey. Je m’étais dit que Madjid avait enfin fini par apprendre à conduire. A mon arrivée, il était à l’intérieur de la salle de réception des bagages, affable et prévenant à souhait. Sortis de l’aérogare, je lui avais demandé où il était garé : il en fut étonné, parce que nous allions repartir avec un taxi clandestin… qu’il fallait trouver ! Plus tard, il fut opéré à Kouba et il se tissa à cette occasion un réseau d’amitiés avec les jeunes chirurgiens du service comme le Bachi Bouzouk ou encore le schtroumpf qui le pleurent aujourd’hui. Plus récemment, j’avais rendez-vous avec lui à Cheraga à la place El Qods pour aller ensemble à la vente-dédicace du livre de Karim Younès à la librairie « le Point-
Virgule ». J’étais à 5 mètres de lui, faisant de grands signes de la main, mais son regard me cherchait ailleurs, plus loin. Au sommet de l’immeuble
El Qods. Après coup, il se justifia en arguant qu’il ne pouvait me reconnaître à cause de mon masque… et qu’il trouvait l’immeuble hideux !
Adieu Madjid, tu nous laisses un grand vide. Tu as été un des rares universitaires de Constantine à avoir eu une production intellectuelle au long cours aussi soutenue et prolifique.
À Zeina, Meryem, Nourredine, Djamel Eddine, Abdellali, Bingo et tous les tiens, je présente mes sincères condoléances. Ton ami, Didine.
M. M.

 

 

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