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Rubrique Haltes Estivales

Si Boutef m'était conté

Ce n’est pas de notre faute, ni de la vôtre d’ailleurs. C’est peut-être celle du temps qui passe et qui ne s’est pas arrêté pour rendre hommage à ceux qui faisaient l’actualité et certainement la grandeur d’un pays mais qui restaient éternellement à l’ombre de l’homme au burnous noir. Je garde de vous l'image d'un grand négociateur, subtil et rusé, un diplomate habile comme on n’en fait plus. Je vous ai vu aussi, en 1976, dans une salle de la capitale, donner le tournis aux étudiants gauchistes enflammés qui voulaient vous coincer sur le sens de la révolution socialiste, vous qui passiez pour être un partisan du «libéralisme» honni par le parti et les élites intellectuelles. Je vous ai vu aux côtés de Carlos, grand «terroriste» qui ramenait, encore une fois, un avion vers Alger, «La Mecque des révolutionnaires». Je vous ai connu grand ami de tous les ennemis des dictateurs du monde, qu’ils soient d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, vous qui irradiez les restaurants huppés de la capitale par l'éclat unique des vrais rebelles. Votre entrée dans ces salles aux lumières douces, avec cette démarche à la fois légère et assurée, suffisait pour faire se lever les gens. Vous ne laissiez pas indifférent car vous ne passiez pas inaperçu. Et parce que vous saviez dire à chaque femme, à chaque homme, les mots qu’il fallait pour les mettre à l’aise, les rassurer, les faire sourire, on vous considérait comme le grand seigneur de ces nuits féeriques et sereines d’Alger. Vous aviez ce sens de l’humour qui faisait retomber les grandes tensions et vous aviez les mots justes pour faire rêver la «panthère noire» d’Amérique, tout en rassurant l’ambassadeur des États-Unis sur les bonnes intentions de l’Algérie.
Alors, ce n’est vraiment pas de notre faute si, lorsque ce pays s’est trouvé coincé et qu’il fallait qu’il s’en sorte, il n’a pas hésité à s’inventer d’autres héros, à semer de nouveaux repères sur le chemin de la survie, pour créer cette épopée surgie de l’Algérie profonde si riche en intrépides ! Ce n’est pas de notre faute si, pour de bonnes ou de mauvaises intentions, Octobre a enfanté d’autres gamins qui ont fait plier l’ordre ancien afin que change le système politique de ce pays, afin que naissent ces frémissements démocratiques qui ont grandi dans les printemps de la liberté ! Vous n'étiez surtout pas là pour dire à ceux qui en avaient besoin, dans le désespoir des lendemains de carnages et de toutes les autres basses œuvres du terrorisme intégriste, qu’il fallait croire en ce pays et ne pas abandonner la lutte contre la bête immonde ! Vous n'étiez pas là pour secourir les modestes citoyens de Raïs ou pour dire un mot d’espoir aux orphelins et aux veuves de Bentalha ! Vous auriez pu le faire, mais vous n'étiez pas là ! Par contre, ce que vous aviez bien fait, et même très bien, c’est de réhabiliter ces monstres qui ont fait tant de mal à nos familles, qui ont tué Boucebci, Djaout, Aslaoui et Flici ! Vous n'étiez pas là pour dire à leurs épouses ces mots qui réconfortent, mais vous étiez là pour les faire pleurer avec la concorde et la réconciliation, ces serpents venimeux qui prennent tantôt des couleurs «civiles», tantôt celles dites «nationales», mais qui gardent, dans toutes les situations, leur venin intact pour nous faire mal dans nos tripes !
Ce n’est pas de notre faute si vous n'étiez pas là pour voir Zeroual, Sifi, Ouyahia – oui, même lui et malgré tout – se donner tant de mal pour sortir ce pays à genoux, agonisant, frêle et accablé, des sombres et profonds marécages dans lesquels il se trouvait ! Vous n'étiez pas là pour voir la fierté courir de Tlemcen à El Kala comme le vent de l’Atlas pour dire la reconnaissance d’un peuple à son chef qui refusait de rencontrer Chirac «sous conditions» alors que l’Algérie était plus isolée que jamais et qu’une gestion plus pragmatique aurait voulu que l’on accepte ce rendez-vous new-yorkais ! Quand il s’agit de dignité, on ne fait pas de calculs ! Et lorsque les héros ont mis tout leur savoir-faire et leur courage pour barrer la route au projet intégriste et défaire ses armées fascistes, il s’est trouvé une élection bidon (avec un seul candidat) pour créer le mythe du sauveur de la Nation. L’Algérie de l’été 1998 était déjà sortie de la terreur fondamentaliste et du risque «taliban».
Aujourd’hui que tout le monde s’essaye à l’art du bilan, on ne voit que des excès partout. Chez ceux qui veulent nous faire croire que notre pays a réalisé les plus belles prouesses de son histoire en quinze années, comme chez ceux qui font du négativisme leur religion. Mais un bilan ne peut pas être noir ou blanc. Il épouse les nuances du gris dans ses gammes multipliées à l’infini et que ne peuvent voir les extrémistes de tout bord.
À l’époque, nous étions là pour répondre aux imbécillités de certains islamistes qui faisaient la bête effarouchée devant vos sorties en français ! Oui, avant vous, personne n’avait osé faire cela et tout le monde, même ceux qui parlaient français avec leurs femmes et leurs enfants, jouaient le jeu de la complaisance assassine dès qu’ils pénétraient dans une réunion officielle. Malheureusement, cette largesse «protocolaire» n'a pas eu de suite dans le secteur de l'éducation où la langue arabe, enseignée d'une manière archaïque, continue de dominer le cursus scolaire, ne laissant au français (butin de guerre) que des miettes ! Il y avait aussi ces petites choses qui peuvent ne pas compter pour les citadins habitués à un certain confort mais qui ont leur importance aux yeux des habitants des petits villages de l’intérieur, comme l’alimentation en gaz naturel dont le programme a été interrompu depuis les années quatre-vingt. Il faut signaler que la venue du gaz de ville dans un foyer est aussi importante que l’arrivée de l’électricité et de l’eau potable. Bouteflika a relancé ce programme qui fait rêver des centaines de milliers d’Algériens, heureux de savoir que les prochains hivers seront plus cléments.
Je suis un Algérien de l'intérieur et je sais apprécier tous les efforts méritoires dans les domaines de la construction de logements et des routes, de la réalisation de barrages et de la connexion entre les retenues afin d’éviter les pénuries d’alimentation en eau, de l’édification des universités et du renforcement de leurs capacités d’accueil, de l’effort méritoire sur le plan de l’ouverture vers les nouvelles technologies, comme en témoignent la prolifération des cybercafés ou l’équipement en dizaines de milliers de micro-ordinateurs des entreprises, des écoles, des lycées et des universités, ou encore le programme spatial qui a permis à l’Algérie de lancer son premier microsatellite. Enfin, et toujours dans le chapitre positif, les évidences sont là : le remboursement de la dette avant terme, une réserve de change jamais réalisée au cours des dernières années. Certains diront qu'on ne pouvait faire moins avec tant de centaines de milliards de dollars ! Évidemment, les points noirs sont trop nombreux pour que nous les citions tous : la désertification et la privatisation de l'industrie publique, l'absence de stratégie de développement économique, l'importation tous azimuts, l'agriculture renflouée à coups de milliers de milliards sans résultats apparents, le retour de l'archaïsme social, de l'illettrisme, du charlatanisme et une politique culturelle basée sur les «années» événementielles, la corruption généralisée, etc. Et une gestion tout à fait singulière des affaires de la Nation, une gestion dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle fut parfois chaotique, obéissant à une vision autoritaire, à la limite du despotisme, qui a fait dégringoler les valeurs démocratiques et vider les partis de leur substance.
Ces dérives ont automatiquement conduit à la dévalorisation du système semi-parlementaire issu de l'ancienne Constitution, puis carrément au viol de cette même Constitution afin que s'ouvre le chemin vers la présidence à vie ! Les institutions sont paralysées et incapables de jouer le rôle qui leur est imparti. Avec Bouteflika, les partis ne servent à rien, sauf s’ils le soutiennent ; la télévision publique est un appareil de propagande pour le pouvoir et les espaces de libertés politiques sont devenus insignifiants, pour ne pas dire inexistants. L’Algérie ne mérite pas cela. L’Algérie de Boudiaf, Abane et Ben Boulaïd, mais aussi celle de Benhamouda et Massinissa Guermah, nouveaux martyrs de la démocratie et de la liberté. C’est cette Algérie qui semble atteindre aujourd'hui les limites de la patience. Alors qu'importe la bassesse de ceux qui s'attaquent aux forteresses avec leur humour à quatre sous ou qui insultent et menacent le peuple ! Ces escrimeurs de pacotille qui se battent contre les vents du changement tentent de faire reculer le printemps… Leurs coups d’épée dans l’eau les useront rapidement et ils seront trop faibles pour lever leurs yeux fatigués sur les floraisons à venir...
M. F.

* Comme chaque été, «Les choses de la vie» se transforme en «Haltes estivales» avec la republication d'anciennes chroniques. Celle de ce jour a été publiée le 17 avril 2014.

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