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Rubrique Haltes Estivales

Lettre à un indépendantiste(*)

AVERTISSEMENT : cette chronique empreinte de retenue et de fraternité privilégiait la raison et s'éloignait de l'invective et des excès passionnels. Publiée ici en 2015, elle tentait, le plus sereinement du monde, de prouver que l'idée d'indépendance de la Kabylie ne reposait sur aucune réalité tangible ou donnée historique établie. Une telle plaidoirie, dans sa forme notamment, aurait été impossible aujourd'hui que le MAK  montre son vrai visage. Quelle fraternité avec un mouvement identitaire d'extrême droite qui a viré vers la trahison et la haine raciale, se transformant en outil de destruction dirigé contre l'Algérie ?
 

Autant le besoin de décentralisation est impérieux dans un pays de plus de deux millions de kilomètres carrés, autant l'idée d'indépendance d'une quelconque région est injustifiée, incohérente et irréalisable. Il vaut mieux parler de régionalisation dont les bienfaits sont évidents. L'Algérie a lamentablement suivi la formule jacobine française alors que le monde pullule d'exemple d'États forts et respectables s'appuyant sur une large décentralisation qui donne aux régions les moyens démocratiques de mettre en valeur leurs potentialités et d'assurer sécurité et prospérité à leurs habitants. Ce qui me gêne dans l'idée d'indépendance, c'est qu'elle ne repose sur aucune réalité tangible. Les éléments qui composent une nation et la définissent sont totalement absents. Un peuple ? Lequel ? Où vit-il et où s'arrête-t-il ? En débarquant pour la première fois à Alger, en 1969, j'avais relevé que l'immense majorité des habitants de notre capitale étaient d'origine kabyle. Je veux donc savoir si les défenseurs de l'indépendance vont inclure cette forte population dans le territoire de leur futur «État». 
Ceci nous amène à ce fameux territoire : où commence-t-il et où s'arrête-t-il ? D'Alger à Sétif ? De Boumerdès à Souk-el-Tenine ? Des confins de Sour-el-Ghozlane à Ziama ? Il n'y a aucun schéma crédible car l'idée même de nation est bâtie sur des chimères. Il n'y a jamais eu de nation kabyle et le «peuple» kabyle est réparti sur toute l'étendue du territoire national. La nation où ils vivent — où tous les Algériens vivent — est un legs précieux de leurs ancêtres. Cette nation algérienne n'est pas née du rêve d'un poète ou des élucubrations d'un homme politique en quête de pouvoir.
Ses contours ont été tracés par le sang, depuis les époques lointaines des résistants contre les envahisseurs romains, vandales, byzantins, arabes, espagnols, turques jusqu'à la lutte contre l'occupant français. 
C'est dernièrement que j'ai appris que Tacfarinas était de chez moi (je n'aime pas ce «chez moi», car «chez moi», c'est toute l'Algérie mais je l'utilise sciemment) ; donc j'apprenais que ce héros du combat contre le colonisateur romain était de Khemissa, sœur de Madaure, dans l'actuelle wilaya de Souk-Ahras. Par un autre hasard, j'appris qu'il est mort à Pomaria, c'est-à-dire l'actuelle Tlemcen, en combattant les mêmes envahisseurs. Sur sa route, il avait livré beaucoup de batailles dont l'une à Sour-el-Ghozlane, où il fut blessé (et non mort comme l'affirment plusieurs sources). Ce grand homme, dont on dit qu'il inventa les techniques de la guérilla, avait mené ses hommes de la frontière tunisienne aux confins algéro-marocains, alors que l'Algérie n'existait pas encore. Mais je crois pouvoir dire que cette nation existait déjà par le sang versé par ces martyrs tout au long d'un parcours qui deviendra, plusieurs siècles plus tard, celui de l'Algérie moderne. Ce sang n'était pas le sang des hommes de l'Est, ni celui versé par les hommes du Centre ou de l'Ouest... C'est à ce moment-là, au moment où il s'est mélangé, dans le même combat et pour les mêmes aspirations, qu'il a donné naissance à cette grande nation que d'aucuns, parmi nos ennemis, renient. 
C'est cela l'idée de l'Algérie : une idée née autour des valeurs de luttes pour l'indépendance et de combats pour la dignité. Nos héros de la période antique et ceux des premiers siècles de l'ère chrétienne ne sont pas des historiens ou des hommes de culture : ceux-là sont venus après, pour célébrer les victoires, pleurer les défaites, écrire l'histoire mouvementée d'un peuple rebelle dont la destinée est de ne jamais renoncer au combat libérateur. 
J'ai eu à rappeler aux détracteurs du MAK ( lors d'une conférence donnée en Haute-Kabylie) que ce mouvement est pacifique, ce qui est déjà beaucoup par les temps qui courent. Mais, le plus fraternellement du monde, je demande à ses membres de réfléchir à ces questions. Je ne détiens pas la vérité et peut-être que je me trompe. Peut-être qu'ils ont raison. Mais je m'en voudrai toute ma vie si je ne dis pas les choses qui me tiennent à cœur et qui naissent spontanément, sans considération politique, simplement nourries par la richesse des rencontres humaines.
Ce qui me gêne dans ce projet, et comme je viens de le souligner, c'est la géographie et l'histoire. Parlons des héros connus et célébrés dans le discours bérberiste : que faire de Massinissa, Jughurta, Juba, Kahina, Tacfarinas, tant de héros berbères n'ayant aucun ancrage dans le territoire imaginé par les indépendantistes ? Que faire de la grande Cirta, capitale des Numides, ou de Khenchela, le pays de la Kahina ? Que dirais-je aux fantômes de Madaure et de Thagaste, à Saint Augustin et à Apulée ; aurais-je le courage de leur crier : «Vos enfants, là-bas, ne veulent plus de vous. Ils ont mis une barrière entre vous et eux»? 
Que dire à notre histoire commune, à ses grands moments de gloire et à ses sombres périodes, quand nous ne serons plus ensemble pour apprendre, lutter, espérer, comme nous l'avons fait durant des siècles ? Et, pour l'histoire plus récente, celle qui a fini par préciser les contours de la nation algérienne moderne, en exigeant plus de sang, plus de martyrs, plus de pleurs et de larmes, que dire à Abane et à Amirouche ? Et que faire de ces centaines de martyrs kabyles tombés au champ d'honneur dans la bataille de Souk-Ahras et enterrés au cimetière de Oued Chouk ? Encerclés par une armada, jamais réunie durant la guerre d'indépendance, ils résistèrent héroïquement, épaulés par des maquisards de la région. Jusqu'à la dernière goutte de sang, un sang encore mélangé, comme à Sour-el-Ghozlane, comme à Tlemcen !
Que dire à mes amis kabyles d'Annaba et d'El-Bayadh, de Tam et de Djelfa, de Tébessa et de Tlemcen, qui n'ont jamais ressenti la moindre inquiétude dans leur vie et dont les parents et, parfois, les arrière- grands-parents, ont quitté leur Kabylie natale, pour vivre ailleurs, dans leur pays, parmi les leurs ? Faudra-t-il leur délivrer un passeport pour qu'ils aillent, en pèlerinage, dans le bled d'origine de leurs ancêtres ? Et moi, quel air aurais-je quand l'envie d'aller faire un tour à Thaïs, pour une bouffée d'oxygène made in Mokhtar, me prendra ou quand l'appel du Djurdjura montera de mes entrailles ? Me faire délivrer un passeport ? Et pourquoi pas un visa ? Si vous faites ça, je vous jure, sur mon honneur, que je serai le premier «harrag» à débarquer sur ces rivages bien aimés... 
J'ai ouvert mes yeux dans un village où Nana Aldjia originaire de Aïn-el-Hammam a été ma seconde maman. Les Kabyles, les Soufis, les Mozabites, les Ferdjiouas, les Djijeliens, les Ouled Darradj, les Ouled Naïls, les berbérophones et les arabophones ont vécu en parfaite harmonie, ici, sur les terres numides. Que dire demain à nos pères ? Que dire à l'histoire lointaine et proche ? Et que répondre aux questions cruciales de l'avenir ?
M. F.

(*) Chronique (raccourcie ici) publiée le 6 août 2015 in Le Soir d'Algérie.

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