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Rubrique Etude

LES PARTIS DIRIGEANTS ALGÉRIENS Le FLN de 1999 à 2019 : l’échec d’une réhabilitation au forceps (8e partie)

A la fin de cette année 1998, le parti du FLN se relevait, péniblement, de la scission qui le frappa, de plein fouet, une année plus tôt. Tous les signaux de son tableau de bord avaient viré au rouge : la plupart de ses cadres et une bonne partie de sa base avaient été aspirés par le RND. Les soutiens dont il bénéficiait auprès du pouvoir réel lui furent retirés et ses réservoirs traditionnels au sein de l’Administration s’étaient taris.
Associée à des scores électoraux défavorables, cette mise en quarantaine l’avait désespéré d’une possible résurrection dont il voyait très mal d’où elle surviendrait.
La démission du Président Liamine Zeroual et l’entrée en lice de Abdelaziz Bouteflika le réveillèrent, brutalement, de sa prostration.
L’occasion était trop belle pour être ratée. Il se souvint avoir été le parti de l’ancien ministre des Affaires étrangères bien qu’il l’ait exclu, en 1980, de son Comité central. Il voulait, malgré tout, y croire en s’accrochant à l’espoir que représentait la nomination, à la direction de campagne du candidat, de Ali Benflis, un de ses rares anciens ministres à lui être resté fidèle. Il lui déclara, aussitôt, son allégeance, en attendant une réaction favorable.
Son retour «gagnant» lui parut dépendre d’une seule probabilité : que s’opère une jonction miraculeuse entre son impatience à prendre sa revanche contre les auteurs de sa descente aux enfers et une meilleure disposition, à son égard, du futur Président dont il connaissait les analyses sur la crise de 1991 et les réserves sur le RND qu’il avait réprouvé en raison de «ses liens» avec les services de renseignements.

1- Les enjeux d’un retour «gagnant»
Malgré son ressentiment, Bouteflika, Président, avait besoin du FLN en prévision d’un face-à-face avec l’armée qu’il savait inéluctable, à une échéance plus ou moins lointaine. Il lui fallait avoir sous la main un appareil politique en mesure, le moment venu, de lui prêter main-forte, à la condition qu’il fut réhabilité et domestiqué.
Le FLN n’était pas au mieux de sa forme et devait être remis en état, au plus vite. Aussi, la première tâche qu’il s’assigna fut de stopper l’hémorragie qui l’avait vidée de sa substance. Il en ouvrit les portes aux membres des comités de soutien qui animèrent sa campagne sous la houlette de Amar Saïdani, un syndicaliste qui fera, bientôt, parler de lui.
Comme il savait bien y faire pour arriver à ses fins, il nomma Mohamed Cherif Messaâdia à la présidence du Conseil de la Nation en remplacement de Bachir Boumaza et porta au secrétariat général du Comité central, son ancien directeur de cabinet à la Présidence, Ali Benflis, après l’avoir nommé en août 2000, suite à la démission d’Ahmed Benbitour, à la charge de la chefferie d’un gouvernement où il fit entrer de nouvelles figures : Karim Younès, Abdelmadjid Attar, Zineddine Youbi, Boutheïna Cheriet, Fatiha Mentouri et Abdelkader Sellat qui siégèrent aux côtés de ses fidèles : Noureddine Yazid Zerhouni, Abdelaziz Belkhadem, Abdelatif Benachenhou, Chakib Khelil, Mourad Medelci, Djamel Ould Abbas, Tayeb Belaïz, Abdelkader Messahel, Tayeb Louh, Dahou Ould Kablia recrutés dans sa région d’origine comme ses conseillers Abdelatif Rahal et Boualem Bessaïeh.
Les choses, ainsi agencées, se présentèrent pour le parti du FLN, sous de meilleures auspices. Mises en phase avec les intentions déclarées du nouveau Président, elles débouchèrent sur la modulation progressive des rapports de force entre le FLN et le RND réinsérés, en compagnie du MSP, dans la même Alliance, en service, du temps de l’ex-Président Zeroual.
Le plan d’attaque sembla avoir été, parfaitement, mis au point. Le Président tenait, enfin, le volant qui allait exécuter une feuille de route réduite à un seul point : entamer, mieux armé, une longue guerre d’usure contre l’institution militaire, le FLN ayant regagné son ancien rang de leader à la faveur des élections législatives de 2002, qui déclassèrent le RND.
Dans cette projection qu’il avait assez habilement étudié, du point de vue tactique, une seule chose lui manqua : une bonne connaissance de la psychologie des hommes qui l’entouraient. A défaut d’avoir fait montre de cette qualité, Bouteflika vit s’écrouler, à ses pieds, le laborieux échafaudage qu’il crut avoir réussi à monter. Le parti lui fit faux bond en présentant contre lui, Ali Benflis, hier encore, son bras droit, à une présidentielle censée avoir été préparée pour déboucher sur un second mandat qui coulait de source.
On sut que le parti avait agi, ainsi, à «l’invitation» du général de corps d’armée, chef d’Etat-major de l’ANP, Mohamed Lamari, opposé à la réélection d’un Président qui ne dut son repêchage de dernière minute qu’à la caution du général Mohamed Mediène et à «la justice de la nuit» qui invalida l’investiture accordée par le parti à son candidat.
Cette première manche qui opposa la Présidence à l’ANP, pour le contrôle d’un parti qui hésitait entre deux tutelles, fut sanctionnée par une égalité parfaite. En dépit de son habilité tactique, le Président n’était pas parvenu à faire admettre totalement son autorité au sein du parti, et l’ANP, divisée au sommet, échoua à remettre sous sa coupe une formation qu’elle avait, pourtant, fait imploser et qui, en principe, était revenue sous les feux de la rampe, pour se venger d’elle avec l’aide intéressée d’un Président ambitieux et retors.

2- De la récupération au virement à droite 
L’alerte avait été chaude et les leçons, immédiatement, tirées : il n’était plus question de gérer le FLN, à distance, le Président devait s’y investir, entièrement, et en être le chef, en titre, afin de prévenir toute nouvelle tentative de sédition.
N’étant pas à une violation près, de ses statuts, le parti destitua Ali Benflis, à son congrès de 2005, créa le poste de «président d’honneur» taillé à la mesure de Bouteflika et élit au secrétariat général Abdelaziz Belkhadem — confirmé au 9e congrès de 2010 — avant de sombrer dans une crise, à rebondissements, éclaté en plusieurs factions — redresseurs, frondeurs,… — regroupées autour de Abderrahmane Belayat, Salah Goudjil et Abdelkrim Abada.
L’activisme de ces tendances, l’une fidèle à la défunte ligne qui rêvait de reconstituer le parti monocratique d’avant 1988, et l’autre, restes des «réformateurs» qui couraient, toujours, après «le changement du système de l’intérieur» ne dura que le temps du leurre, submergé par une éruption qui amenait à la surface du parti les meneurs des oligopoles     auxquels le Président promit le pouvoir réel sous la bannière de «la réconciliation nationale».
Ce fut en tablant sur l’attraction de ce thème-bateau que Abdelaziz Bouteflika gagna le ralliement des classes compradores mises en ordre de bataille par les gourous du néolibéralisme installés à la Présidence de la République.
Abdelaziz Belkhadem, venu du barbéfélinisme, avait tout du profil idéal du dirigeant capable de greffer à ces classes les informels de l’islamisme et de les hisser, ensemble, à la direction du parti. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour envoyer au Comité central, au Bureau politique puis au Parlement – présidé, successivement, par Amar Saïdani et Abdelaziz Ziari — des fournées entières de milliardaires qui ne se firent pas prier pour voter, au profit du cartel, les projets de lois que le gouvernement, majoritairement, FLN, lui soumit entre 2006 et 2008, en attendant de souscrire aux amendements constitutionnels déverrouillant la limitation du nombre des mandats présidentiels.
Aucun des gouvernements nommés par Bouteflika, de Hamdani à Belkhadem, plusieurs fois remaniés et encadrés, durant plus de dix années, par les hommes inamovibles du Président, excepté, peut-être, celui d’Ahmed Ouyahia, ne dérogea à la règle : ils n’avaient rien fait d’autre qu’appliquer, sans réserves ni modifications, les programmes que le cabinet présidentiel leur transmettait.
Seuls le chef de l’Etat et son staff, familiers du G8, du FMI, de la Banque mondiale, de Davos et de Crans-Montana, en étaient l’âme.
Le parti et son pendant, le Parlement, sous signataire, n’étaient là que pour relayer les consignes et mailler la société à travers leurs réseaux centraux et locaux, les rouages de la machine électorale garante de la prolongation indéfinie du pouvoir au nom de «la stabilité et de la sécurité».
Avant d’être limogé, en 2013, puis banni des structures de l’Etat et du parti, surpris en train de louvoyer, en vue de la présidentielle de 2014, Abdelaziz Belkhadem s’acquitta de cette tâche, sans trop de difficultés, face à une opposition anesthésiée et à des frondes internes contenues.

3- La machine de guerre
L’ère Saïdani – le 11e secrétaire général du Front, intronisé, sur ordre, à la 6e session du Comité central de septembre 2013 – pouvait débuter sur les chapeaux de roues, le parti ne se cachant plus d’être un parti de droite, totalement, domestiqué par le cercle présidentiel et acquis à son obstination à en découdre avec une partie de l’Armée.
Dans une atmosphère générale, particulièrement, sulfureuse, le parti passa à l’exécution du second volet de son cahier des charges préparé de longue date : déclencher l’opération de torpillage du DRS et de son chef.
«L’urgente nécessité d’instaurer un Etat civil» fut l’habillage politique donné à cette offensive lancée à la veille de la préparation du 4e mandat.
La hache de guerre entre «militants politiques» et «militants en uniforme» fut, de nouveau, déterrée, cette fois-ci dans le but d’imposer, par la force, la Présidence à vie. 
Le chef du DRS écarté, plus aucun obstacle ne subsista sur la voie du «mandat de trop».
De septembre 2013 à octobre 2016, Amar Saïdani s’occupa à faire du FLN «la 1re force politique du pays», avec, dans le viseur, Ahmed Ouyahia le directeur de cabinet à la Présidence, potentiel candidat à la succession, à éliminer au plus tôt de la course avant toute surprise, la santé du Président déclinant à vue d’œil.

4- La descente aux enfers
Le mandat à blanc fut confisqué par le cabinet parallèle sur lequel régna, sans partage, Saïd Bouteflika, l’architecte de la privatisation de l’Etat.
Le FLN obligé, à chaque remaniement, d’intégrer des ministres au Comité central sans y avoir milité, n’était plus qu’un fourre-tout à la merci d’une faune impliquée dans d’innombrables affaires de corruption.
La fin de mission signifiée à Amar Saïdani, en octobre 2016, donna lieu au parachutage de Djamel Ould Abbès instruit de vendre le projet de 5e mandat en le distillant, par doses homéopathiques, sans faire de vagues, un changement d’attelage qui coïncida avec le débarquement de Abdelmalek Sellal éclaboussé par le scandale de Panama Papers que son successeur, Abdelmadjid Tebboune utilisa, pensant son heure venue, comme d’une tête de bélier pour enfoncer la forteresse du cartel. 
La contre-attaque du FCE et de l’UGTA qui s’étaient, déjà, projetés dans l’après-Bouteflika, le fit remplacer par Ahmed Ouyahia, le secret  allié qui leur consentit le pacte de partenariat public-privé, en contrepartie de leur soutien à sa candidature à la succession.
Forcé par le cabinet parallèle de se rétracter, Ahmed Ouyahia dut battre en retraite et c’est en arrière-plan de ces luttes sourdes que des voix commencèrent à exprimer leurs doutes sur la faisabilité de ce qui apparaissait, de plus en plus, comme une entreprise aventureuse.
Le président de l’Assemblée populaire nationale, Saïd Bouhadja, comptabilisé dans le camp des démobilisés, en fera les frais, déstabilisé par une opération-commando menée contre lui par les députés du FLN et du RND.

Son bureau cadenassé, il sera chassé du palais Zighoud-Youcef, par Mouad Bouchareb, son successeur illégitime.
Après  cette voie de fait, la coalition euphorique des soutiens du 5e mandat se prit à «rêver» que plus aucune force ne pourra contrarier son incroyable défi à la raison, n’ayant inscrit sur aucune de ses tablettes la réaction d’un peuple gagné par une saine colère.
La bataille de la dignité engagée, le 22 février 2019, par la nation tout entière, se transforma en une révolution qui emporta Abdelaziz Bouteflika.               Le FLN, un de ses symboles, fut, dès le premier jour de l’insurrection, mis en demeure de restituer son sigle à l’Histoire. Ce verdict signa l’échec, sans appel, de la réhabilitation du parti, entreprise, au forceps, par un Président qui refusa de regarder la réalité en face et de lire, à l’endroit, la véritable Histoire d’une formation qui fut, à l’origine, plus un mouvement national multipartite qu’une organisation politique au sens strict du terme.

5- Quel avenir ?
L’avenir du FLN est, en vérité, en train de s’écrire au passé. Le drame qu’il vit, aujourd’hui, est contenu dans les avatars et les ratés qu’il cumula avant et après l’indépendance.
La présente étude s’en est faite largement l’écho en le rattachant à son péché originel : le conflit qui mit aux prises, dès 1957, son noyau civil fondateur et ses excroissances militaires, prolongé, après l’indépendance, par les divergences sur la question de la construction de l’Etat, à chaque fois, réglée par la force des armes. On a vu comment le FLN évolua de la synthèse de la Soummam au schisme de Tripoli, du gouvernement de l’Etat par le parti au gouvernement du parti par l’Etat, du parti-Etat au multipartisme et, enfin, de la scission à la crise générale dans laquelle il s’est embourbé, sous l’ère Bouteflika, sans espoir d’en sortir.  Il est en train de payer, aujourd’hui, au prix fort, le rôle de paravent consentant  qu’il a, toujours, tenu, dans une dépendance permanente vis-à-vis de l’autorité «d’en haut». 
De l’état de décomposition très avancé dans lequel ses parrainages successifs et ses différentes ailes concurrentes l’ont plongé, aucune force sociale, aucun groupe d’individus, aussi géniaux et aussi sincères soient-ils, ne pourront le tirer parce que :
- il a perdu son identité idéologique ;
- il se coupa de ses racines populaires et des intelligentsias qui lui avaient insufflé son esprit et sa praxis d’antan ;
- il plia face au diktat des forces oligopolistiques anti-nationales et anti-sociales ;
- il viola les règles statutaires les plus élémentaires de son fonctionnement et recourut aux expédients les plus violents et les plus immoraux pour imposer les vues de ses usurpateurs ;
- il couvrit et entretint le culte de la personnalité, sans limites, de l’ex-Président ;
- il se transforma en annexe des centres de blanchiment de la corruption qui sévissait dans ses rangs.
Pour toutes ces raisons, le sort du FLN qui n’est pas disjoint de celui de ses «compagnons de route» TAJ et MPA (*)  semble scellé irrémédiablement. Le peuple algérien estime que la décision la plus sensée que ses dirigeants seraient  inspirés de prendre est de changer de dénomination et d’explorer de nouvelles voies d’organisation et d’action allant dans le sens de ce que la Révolution, en cours, construira comme nouveau régime.
Il va de soi que celui-ci sera défini par la nouvelle Constitution et les nouvelles lois qui mettront, une bonne fois pour toutes, à l’abri de l’exploitation partisane à des fins politiques, l’ensemble des ancrages idéologiques, religieux et identitaires de la nation.
La classe politique qui émergera du  Mouvement du 22 février sera composée de partis qui défendront des programmes d’inspiration politique et économique et non religieuse ou identitaire.
Aujourd’hui, encore monolithique, pour des raisons évidentes, ce mouvement se décantera, forcément, et sera amené à donner naissance à des partis appelés à solliciter les suffrages des citoyens et, par conséquent, à gouverner sur la base de programmes de développement démocratiquement approuvés.
L’Algérie entrera dans une autre Histoire, une Histoire décidée, comme en 1954, par un peuple souverain et libre…
B. E. M.

* Ces deux partis ont été utilisés par le régime comme auxiliaires et non comme formations dirigeantes. Pour plus d’informations à leur sujet, les lecteurs sont invités à se reporter aux passages qui leur furent consacrés dans nos précédents essais. 

prochainement : les partis dirigeants algériens : Inconséquences et limites d’une gouvernance sous tutelle. (9e et dernière partie).

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