Nous sommes dans un bourg de la banlieue sud d’Alger. Tout le monde
connaît l’histoire du Sud pauvre et du Nord prospère. En dehors des deux
Corées qui jouent toujours aux « trouble-fêtes » en démentant ce qui est
une certitude partout et pour tout le monde, la théorie se confirme à
chaque fois, y compris là où il n’y a aucune raison qu’il en soit ainsi.
Allez savoir pourquoi, il y a des certitudes qui se vérifient même par
défaut, par coïncidence et par… accident ! Dans ce bourg du sud d’Alger,
fruit d’une mutation hasardeuse qui a abouti à un ensemble mi-rural ou
mi-urbain, selon l’option de chacun dans la théorie du verre à moitié
plein ou à moitié vide. Ce bourg désormais en panne de vocation mais a
eu ses heures de gloire comme prolongement rayonnant des champs
maraîchers des vergers et des écuries. Dans ce bourg donc, il y a deux
lycées dont l’un, au cœur de la ville. Comme tous les autres lycées,
allez savoir pourquoi son portail est toujours semi-ouvert, ou
semi-fermé mais on ne va pas refaire l’histoire. Face au portail, il y a
une ruelle réputée pour ses petits commerces. Ici, on n’a pas besoin de
se faire expliquer le sens des mots. Petit veut dire modeste et modeste
est un doux euphémisme qui a la prétention de désigner les pauvres sans
les nommer. Devant l’une de ces échoppes, il y a un marchand de
garantita. N’essayez surtout pas de nous en rappeler l’origine
espagnole, portugaise ou de plus loin. Dans la foulée, vous pouvez
également nous épargner l’intitulé exact de la chose. Ici, comme
ailleurs… d’ailleurs, on s’en fout royalement que ce soit grantita,
karantika ou karantila. Ça ne vous change pas une purée de pois chiches
améliorée avec du bric et du broc en couscous royal. Chez ceux qui en
consomment régulièrement parce qu’il faut bien remplir le ventre à
moindre frais savent ce que c’est, ils n’ont pas besoin de lui chercher
d’autres vertus. Il n’y a que les riches qui veulent jouer aux pauvres,
les riches qui s’offrent le… luxe d’un déjeuner de disette une fois l’an
bissextile qui peuvent se pencher longuement, obséquieusement et
ostentatoirement sur la… genèse de la garantita, ses variantes, ses
cheminements historiques, ses multiples appellations et son débarquement
dans notre vaste et beau pays. Dans une ruelle d’un bourg du sud
d’Alger, il y a un vendeur de garantita. Il fait froid, la neige n’est
plus très loin et des lycéens se bousculent et parfois se disputent
gentiment pour être les premiers à être servis. Dans la… foule, il y a
aussi les ouvriers « chargeurs » de faïence, de marbre et de ciment
blanc destinés aux chantiers des maisons cossues. Ceux-là en arrivent
même à oublier le nom et la composition. Ils savent que c’est chaud, ça
remplit la panse et c’est à la hauteur de leurs moyens.
S. L.
S. L.