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Rubrique Analyse

Mémoire algérienne Ces incorrigibles «historiens» français !

La nostalgie peut accoucher, des fois, de savoureuses madeleines proustiennes pleines de références qui aident à situer et à caractériser les périodes et les personnages évoqués ainsi que l’arrière-plan historico-sociologique auquel elles s’adossent, dans le respect de la réalité objective décrite, bien que, souvent, enrobée du flou artistique exigé par la recherche d’une certaine esthétique.
Malheureusement, il en va autrement, lorsqu’elle s’inspire des remugles de rancœurs mal digérées qui s’inscrivent dans le registre de combats d’arrière-garde parrainés par des idéologues spécialisés dans l’écriture du roman historique à sens unique.
Les lieux de la mémoire de la guerre d’indépendance algérienne, signé par un certain Emmanuel Alcaraz, professeur d’histoire dans un lycée français de Tunis, a choisi
délibérément, de se classer dans la seconde catégorie, celle des basses œuvres qu’une nostalgie délurée peut commander.
Edité sous les auspices bienveillants de l’inévitable Benjamin Stora, connu des Algériens pour ses idées bien arrêtées sur le mouvement national révolutionnaire qu’il tient pour avoir été messalicide et acteur majeur dans «l’affrontement» entre les communautés vivant en Algérie durant la guerre anticoloniale, l’ouvrage se présente, dès les prémisses de sa «démonstration», sous la forme d’un pamphlet politique d’une hostilité inouïe contre la Révolution et l’Etat algériens plutôt que sous celle d’une recherche équidistante axée sur la reconstitution des éléments fondateurs de la mémoire algérienne, ainsi que des historiens de métier, des philosophes et des sociologues soucieux du crédit de leurs écrits l’avaient fait, avant et après l’indépendance de l’Algérie, selon des approches équilibrées empreintes de retenue, de dignité et surtout d’esprit scientifique, à l’exemple de celles par lesquelles s’étaient illustrés, en leur temps, Tillon, Sartre, Ageron, Nouschi, Galissot, Leca, Enaudi, Dumont, Bourdieu, Favrod, Meynier, et j’en passe.
Avec ce professeur d’une espèce bien particulière, point de masques ni de faux-fuyants, plus besoin de lire entre les lignes ou d’interpréter, l’intention est claire, d’entrée de jeu. Il s’agit, dans un déferlement atrabilaire provocateur, d’instruire un procès en lèse-mémoire contre un peuple dévoré par «une boulimie commémorative» et contre un Etat accusé de «réactiver la guerre pour tenter de reconstruire une unité nationale et de conserver son hégémonie idéologique sur la société» tout en notant que l’exclusion de ces célébrations «des familles du nationalisme algérien comme le populisme messaliste arabo-musulman et le républicanisme libéral musulman de l’UDMA» (!?) obéit «à une logique sélective» et «trahit une crise identitaire du peuple algérien».
Ce genre de discours haineux ne date pas d’hier, il a été ressassé et usé jusqu’à la corde dans une grossière et poussiéreuse instrumentalisation visant à blanchir le colonialisme de ses crimes et à incriminer la nation algérienne, «coupable» de s’être engagée dans une guerre de libération nationale qui se serait, selon ces auteurs peu scrupuleux, soldée par un coût humain élevé dont elle est seule responsable parce qu’elle aurait pu en faire l’économie si elle avait rallié, en temps voulu, les chants des sirènes légalistes et collaborationnistes.
Dans ce fouillis de lieux communs qui pue les idées et la phraséologie pied-noir de l’extrême droite passéiste dont le meilleur usage qu’on pourrait faire est de le jeter dans la poubelle de la littérature de gare, se sont néanmoins glissées quelques assertions dangereuses qu’on ne saurait laisser passer, sans réagir, tant elles revêtent un caractère de gravité révoltant, comme entre autres aberrations proférées, «la fabrication de la mémoire nationale n’est pas une priorité dans un pays en voie de développement» ou encore «en France, la nation précède les lieux de mémoire tandis qu’en Algérie les lieux de mémoire sont antérieurs à la construction d’un sentiment national»...
A la lecture de ces raccourcis sophistes qui jettent de l’huile sur le feu plus qu’ils ne participent à éclairer la face hideuse du colonialisme en Algérie que le candidat Macron, lui-même, s’était laissé aller à qualifier de criminel dans un élan spontané qui a libéré sa conscience de citoyen avant de se rétracter comme Président, acculé par les pressions de l’Etat profond, on se trouve ici face à un delirium tremens absolu, dans le déni de l’existence chez le peuple algérien d’un sentiment national et pis, dans la négation de son droit à construire une mémoire indépendante de celle que les officiers de l’armée et du renseignement français chuchotent à l’oreille de leurs supplétifs propagandistes élevés dans le culte du récit romancé de la guerre tel que vulgarisé par le journaliste Yves Courrière qui a avoué avoir écrit ses 4 tomes publiés, dans les années 60, dans le style du roman policier.
Si on suit le raisonnement sordide de cet Alcaraz qui affirme que la construction d’une mémoire nationale serait un luxe pour un pays qui devrait s’occuper à résoudre d’autres problèmes plus existentiels, le peuple algérien aurait mieux fait de continuer à appeler les rues, les villes et les bourgades du pays du nom de Damrémont, Perrégaux, Rohault de Fleury, Vallée, Lamoricière, Pélissier, Saint-Arnaud, Canrobert, Cavaignac, Clauzel, Duvivier, Trézel, Caraman, Lamy, Combe, Corbin, le duc de Nemours, le duc d’Aumale, le duc d’Orléans...
Il aurait ainsi prouvé, dans le désarmement et le renoncement mémoriel recommandés, qu’il a d’autres chats à fouetter que de courir après les ombres de Ben M’hidi, Didouche, Boudiaf, Ben Boulaïd, Bitat, Krim, Abane, Ben Bella, Khider, Aït Ahmed, Belouizdad, Benaouda, Mechati... qu’il aurait eu l’intelligence de vouer aux oubliettes, pour laisser place nette à ces «historiens» français tout désignés pour proposer aux générations à venir une construction mémorielle digne d’un pays développé, conforme en tout cas au modèle de civilisation enseigné par les colons aux petits indigènes de l’époque.
Ainsi, les Algériens, soulagés de cette «corvée», se seraient bien gardés d’imiter Jacques Chirac qui a décrété, après un certain match Algérie-France, de généraliser l’exécution de La Marseillaise, dans une scénarisation grandiloquante servie, à satiété, en tous lieux et en toutes circonstances, suivi en cela par tous ses successeurs, les uns plus zélés que les autres ; ils n’auraient pas, non plus, osé demander aux instituteurs des écoles du pays de dicter à leurs élèves la lettre envoyée, avant son exécution, par Ahmed Zabana à sa mère, ainsi que Nicolas Sarkozy l’avait exigé pour la lettre adressée par Guy Moquet à sa famille, après sa condamnation à mort par la Gestapo.
Il lui en aurait, peut-être, coûté, davantage, s’il lui était venu à l’idée de transgresser les lignes interdites tracées par ses anciens «maîtres», pour prendre langue avec
Massinissa, Jughurta et l’Emir Abdelkader au lieu de ne s’en tenir qu’à la glorification de ses ancêtres les Gaulois, de ses «bienfaiteurs» Tocqueville, Clémenceau et Ferry et de ses tortionnaires Massu et Bigeard ainsi que François Hollande et les chefs de son armée en avaient établi la tradition pour instiller dans la conscience des jeunes générations la «grandeur de la France éternelle», cette France que l’Alcaraz se contorsionne à présenter comme l’exemple de la nation dont la formation précède les lieux de mémoire en feignant d’ignorer que ce fut, entre autres, autour du vase de Soissons, de Domremy, de Roncevaux, de la cathédrale de Reims, d’Oradour-sur-Glane, de Verdun, des Vosges et du Vercors, que la nation française s’était laborieusement constituée au moment où Cirta égrenait à son compte 25 siècles d’existence.
Aveuglé par ses œillères sectaires, s’est-il seulement donné la peine de lire Moubarak El-Mili, Belkacem Saâdallah, Mahfoud Keddache, Mostefa Lacheraf, Mohamed Chérif Sahli, Rédha Malek, Ferhat Abbas, Taleb Ahmed El Ibrahimi, Belaïd Abdesselam et tant d’autres authentiques intellectuels algériens auprès desquels il aurait pris l’exacte mesure du sentiment national du peuple algérien et appris qu’il fut, depuis la nuit des temps, une grande nation qui a dû accumuler, sous le poids des guerres injustes imposées par des envahisseurs hégémoniques, un nombre incalculable de lieux de mémoire que l’Etat national réémergent, en 1962, a sauvé de l’oubli, conservé et transmis aux hommes de demain afin qu’ils sachent d’où ils sont venus et pourquoi ils doivent en être les remparts inexpugnables.
Ce fut et ce sera son devoir impérieux quoique, à certains moments, il ait pu fauter et abuser, injustement, de son autorité, une raison qui ne saurait être utilisée, à mauvais escient, pour s’autoriser à douter de l’unité du peuple algérien et de son attachement à des valeurs forgées dans le feu d’une résistance qui continue à susciter l’admiration des peuples du monde entier.
Les Français devraient être parmi les premiers à lui en savoir gré, car à travers sa révolution, il leur a fait éviter de sombrer sous la férule d’un Etat fasciste lorsque le général Salan avait perpétré son pronunciamento contre la Ve République en avril 1961.
Dans une interview qu’il avait accordée en 2014 à la Radio nationale, le Colonel Amar Benaouda, membre des 22 et de la délégation de FLN aux négociations d’Evian, raconta comment il apostropha Louis Joxe, le négociateur en chef du gouvernement français, en lui rappelant que la France devrait être reconnaissante aux «hors-la-loi» qui sont en face de lui d’avoir permis à la démocratie d’y être restée débout.
Enfin, tout le monde aura relevé qu’à chaque fois que de tels ouvrages paraissent, se repose la même question à laquelle les plumes missionnées du type de celle d’Alcaraz refusent, naturellement, de répondre : pourquoi ce qui est interdit aux Algériens, en la matière, est-il si généreusement servi aux victimes de la Shoah, sanctifiées aux quatre coins de la France, un rituel auquel sacrifient préfets, maires, ministres et présidents qui ne ratent aucune occasion — surtout les dîners du Crif — pour s’autoflageller et demander pardon, pour la énième fois, au nom de leur Etat responsable de la mort de milliers de juifs raflés et envoyés par trains entiers à Auschwitz, Dashau et Tréblinka?
Et pas un mot sur le génocide colonial !
Quatre mois après sa visite à Alger et alors qu’il l’avait, solennellement, promis, Emmanuel Macron, accompagné par son conseiller Benjamin Stora qui avait, certainement, dans ses bagages le livre d’Alcaraz, n’a, toujours, pas pu, ou voulu, débloquer le dossier des crânes des résistants algériens — une goutte dans l’océan des ignominies françaises commises en Algérie —, alors que, Président «jupitérien», gouvernant par ordonnance, il lui aurait suffi d’une simple instruction administrative adressée au ministère de la Culture dont dépend le Musée de l’Homme pour déclencher l’opération.
Voilà où en est la belle «amitié algéro-française» chantée, à tue-tête, par les ministres et les préfets français dépêchés à Alger, au moment où les officines de «l’Etat profond» envoient au feu des Alcaraz pour insulter la Révolution et l’Etat algériens, en mettant à profit l’impasse politique et les fractures idéologiques portées par des extrémismes minoritaires dans la société réelle, auxquelles l’Algérie est confrontée, en cette période si difficile.
Il se trouve, quand même, qu’il existe des forces qui comptent dans notre pays qui y font face, résolument, comme en témoignent les avancées remarquables accomplies sur d’importantes questions, comme celles relevant de l’identité nationale et dont le gain, le plus directement perceptible, est la consolidation, si vitale, du front intérieur, un acquis à préserver et à opposer à tous les ennemis qui redoublent d’activisme pour tenter d’ouvrir la brèche qui leur permettrait d’achever, ici, l’entreprise de destruction si bien menée en Irak, en Libye et en Syrie, et que des hommes d’honneur comme Rony Brauman, l’ancien président de Médecins sans frontières, dénonce avec courage dans son Guerres humanitaires : mensonges et intox paru dernièrement.
Alcaraz et ses maîtres souffleurs qui agissent derrière les rideaux auront-ils la même honnêteté et le même courage de l’avouer, à leur tour, au lieu de s’abîmer, sous la dictée des revanchards de la 3e mi-temps, à entretenir le déni et la haine ? Les Algériens en doutent, à juste raison, occupés qu’ils sont à s’employer à dégager, par eux-mêmes et entre eux, sans immixtion, les moyens de parfaire leur travail de mémoire et de poursuivre leur juste revendication quant à la qualification des crimes coloniaux dont beaucoup d’entre eux portent encore les stigmates ineffaçables.
En ce 19 mars, fête de la Victoire, c’est le moins qu’ils puissent envisager d’entreprendre jusqu’à ce que le serment fait aux martyrs soit tenu dans ses implications et ses portées les plus proches et les plus lointaines.
Ceci pour dire que les Alcaraz passent et que la Révolution du 1er Novembre demeure. Eternellement...
B.-E. M.

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