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Rubrique Analyse

Ce que Février doit à Novembre

Par Badr’Eddine Mili
A la veille de la commémoration du 65e anniversaire de la Révolution du 1er Novembre 1954 affectée, cette année, d’une charge politique particulièrement forte, dans la mesure où elle coïncide avec l’entame du 9e mois de la Révolution du 22 Février, il n’est pas sans intérêt, pour l’Histoire et pour l’usage qui pourrait en être fait, aujourd’hui et à l’avenir, de comparer les conditions et les formes de la survenue de ces deux Révolutions ainsi que les complémentarités que l’une a développées à l’endroit de l’autre.
La connexion entre les deux, si elle a été, suffisamment, mise en évidence et soulignée, dès les premières manifestations citoyennes du début de l’année, à travers les slogans, les affiches et les hommages dédiés aux valeurs et aux acteurs du combat libérateur, n’en doit pas moins d’être rappelée et explicitée pour ce qu’elle véhicule de sens et témoigne de la volonté du peuple algérien de n’avoir, jamais, laissé quiconque attenter à sa liberté ou faire barrage à l’exercice plein de sa souveraineté, même dans les passages à vide les plus sombres de son existence, que cela se rapportât à l’occupation coloniale ou, après l’indépendance, à une gouvernance qui avait voulu dissoudre l’essence patriotique et révolutionnaire de la Nation en recourant aux expédients les plus répréhensibles de la corruption politique et morale de la société et de l’Etat.
1- La Révolution du 1er Novembre et la Révolution du 22 Février ont, en commun, de s’être dressées contre l’oppression, l’exploitation et le déni de droit pendant de longues périodes.
Considérées par leurs adversaires comme des évènements mineurs et circonstanciels, elles ont démontré, lors de leurs différentes phases, qu’elles sont d’authentiques Révolutions portées par la légitimité de leurs revendications, la profondeur de leur ancrage, l’unité de leurs rangs et la permanence de leur engagement.
2- Toutes deux ont rassemblé le peuple, dans la diversité de ses origines sociales et ethniques, autour d’un seul objectif : l’indépendance pour l’une, la démocratie pour l’autre, exploitant l’ensemble des ressources politiques et mentales qu’elles recelaient pour dépasser les divergences idéologiques et partisanes des forces qui y avaient adhéré, la paysannerie sur une position dirigeante pour la première et, pour la seconde, les classes moyennes, produit de l’Etat national indépendant.
3- L’une et l’autre ont été propulsées et encadrées sur le terrain de l’action par une jeunesse révolutionnaire déterminée à changer l’ordre établi, celle de Novembre par les armes, celle de Février par la contestation pacifique. C’est sur cette jeunesse qu’a reposé et repose tout le poids d’une bataille qui a requis et requiert de la devancière comme de la suivante, sens du sacrifice, intelligence des situations, esprit d’initiative et responsabilité.
4- La seconde, prenant exemple sur la précédente, a honni et combattu le culte de l’homme providentiel par qui, seul, adviendrait le salut de toute une Nation.
Novembre ne s’est accompli qu’après avoir libéré le mouvement national indépendantiste de l’emprise tutélaire de Messali Hadj et opté pour une direction collective qui a résisté, contre vents et marées, jusqu’à son éclatement sous l’effet de la guerre et des crises de 1957 et de l’été 1962.
Février a mis un terme à la présidence à vie de Abdelaziz Bouteflika qui avait élevé son culte aux sommets du mépris et de l’insulte du peuple, privatisant l’Etat national et le vidant, par la prévarication, du peu de références sociales et institutionnelles qui lui restait de l’Etat révolutionnaire pré-indépendant.
Echaudée par cette présidence exclusive et malfaisante, la Révolution de Février a refusé de s’en remettre, pour défendre sa cause, à un leadership personnalisé, non seulement parce que le déficit de confiance qui l’a fait, définitivement, divorcer d’avec l’Etat et la classe politique – opposition et élites comprises – est abyssal mais, également, parce qu’elle en est arrivée à la conclusion conservatoire qu’à cette étape de son processus, il valait mieux, pour les besoins de sa cohésion et de l’efficacité de son mode opératoire, qu’elle continue d’agir en force de pression massive et compacte supportée par le potentiel fédérateur des réseaux sociaux plutôt que de se doter d’une structure verticale qui risquerait d’être récupérée et déviée de son objectif principal : le renversement du régime.
5- Les deux Révolutions partagent, en plus de tous ces dénominateurs communs, la même clairvoyance qui leur a permis de déjouer les stratagèmes et les fausses solutions que leurs ennemis ont opposées à leurs revendications pour les circonscrire.
Novembre a fait front, avec la résilience que l’Histoire lui a reconnue, à la répression, à la collaboration et aux ruses de « la troisième voie » et de « la paix des braves ».
Février a, lui aussi, subi les assauts de la contre-révolution qui n’a reculé devant aucun subterfuge pour maintenir, à la tête du pays, ce qui avait survécu du régime finissant.
En huit mois, il a grandi et mûri armé de la même sérénité, de la même unité et de la même ténacité. Rien ne l’a détourné de la voie qu’il s’était tracée : ni les promesses populistes que le pouvoir d’Etat n’a cessé de lui faire miroiter ni la conjuration des loges de « l’Etat profond » qui ont renoué avec leurs méthodes de prédilection connues.
6- A quelques soixante-cinq années de distance, Novembre et Février ont eu un retentissement international d’égale intensité suivi d’un effet d’entraînement immédiat qui a accéléré l’éveil des peuples dominés.
Novembre a sonné le glas du système colonial mondial et aidé de nombreuses nations arabes et africaines à en finir avec un ordre inhumain.
Avec des spécificités propres à la problématique algérienne, Février a proposé aux révoltes des peuples opprimés par le capitalisme financier mondialisé et ses dictatures sous-traitantes, une alternative de combat originale qui leur ouvre des perspectives moins limitées que celles de l’altermondialisme et moins illusoires que celles des fausses révolutions dites des « Printemps arabes ».
La ressemblance entre les deux Révolutions de 1954 et de 2019 ira-t-elle jusqu’à reproduire la dynamique populaire décisive de Décembre 1960 qui a amené le gouvernement français à la table des négociations après avoir reconnu au peuple algérien, totalement acquis au FLN historique, le droit à l’autodétermination ?
7- Les deux Révolutions ont opéré des choix difficiles, coûteux en sacrifices, mais, pour autant, elles n’ont, à aucun moment, fléchi et désespéré d’atteindre leurs buts.
Novembre avait atteint, partiellement, le sien. Il lui restait à parachever la construction de son projet qui devait, après l’indépendance, déboucher sur l’avènement d’un Etat social et démocratique où le peuple pouvait exercer, à part entière, toutes les libertés dont il avait été privé sous l’ordre colonial.
Février est, enfin, arrivé pour prendre le relais et déclarer donner corps à l’espérance nourrie, pendant plus de soixante années, par les luttes de plusieurs générations.
• A six semaines de l’élection du 12 décembre décidée par le pouvoir d’Etat après l’échec de celles du 18 avril et du 4 juillet, la Révolution de Février est placée devant un défi aussi décisif que celui qu’elle avait relevé en poussant à faire démettre l’ex-Président et incarcérer une grande partie de son personnel politique corrompu.
La forte mobilisation qu’elle maintient à un très haut niveau sur tout le territoire national et qui sera, sans doute, portée à son paroxysme lors de la commémoration du 1er Novembre et du 11 Décembre, constitue son atout majeur.
Cette mobilisation fera-t-elle avorter le scrutin projeté en parvenant à convaincre, en particulier, l’état-major de l’ANP, qu’une élection organisée dans la précipitation, sans véritable consensus, ne mènera qu’à l’impasse et qu’elle ne réglera, en aucune façon, la question posée qui relève non pas d’une crise constitutionnelle mais d’une situation révolutionnaire qui appelle une solution politique ?
Tous les scénarios sont envisageables : celui d’une élection imposée qui validera la feuille de route du pouvoir d’Etat même au risque de déboucher sur la désignation d’un Président qui devra faire face à un rejet aussi fort que celui essuyé par Abdelaziz Bouteflika ; ou celui d’un report qui induirait, logiquement, l’ouverture d’un dialogue autrement plus sérieux entre les forces en présence condamnées, dans l’intérêt supérieur de la Nation, à s’entendre sur les conditions de l’organisation d’un scrutin vraiment crédible.
1- Le premier scénario n’offre aucune perspective susceptible de favoriser une sortie par le haut acceptable, parce qu’il remet en selle, comme si de rien n’était, les principaux dirigeants du régime décrié, ceux qui ont appliqué, à un moment ou à un autre, la politique de l’ex-Président et qui ne seront soutenus que par les appareils des partis dont les secrétaires généraux sont en prison.
Ces appareils disposent, encore, de moyens d’action importants – députés, élus locaux, sièges, subventions étatiques et satellites – qu’ils actionneront, une nouvelle fois, pour fausser les résultats du vote ainsi qu’ils en ont l’habitude. Ils seront assistés, dans ce type d’opérations qu’ils connaissent, parfaitement, par les traditionnels relais que sont les zaouïas et les tribus qu’ils convoqueront, de nouveau, dans une démonstration qui en appellera à l’allégeance dans ce qu’elle a de plus rétrograde et de plus anti-démocratique.
2- Le second scénario a, encore, des chances de s’accomplir. Il épargnerait au pays de pénibles épreuves dont l’une des plus prévisibles et dommageables serait une intervention plus directe que le lobbying, encore discret, que les institutions financières internationales et les multinationales exercent sur un gouvernement faible poussé à faire adopter par un Parlement, tout aussi illégitime, des réformes antinationales et antisociales, encouragées en sous-main, par le cartel des oligopoles intérieurs plus actifs que jamais au niveau des banques et des grandes entreprises publiques.
L’armée, qui s’est saisie des prérogatives d’un pouvoir d’Etat aux abois, est la seule institution capable de viabiliser ce scénario et de répondre aux revendications du peuple.
Elle aurait tout à gagner à favoriser une issue concertée en prenant l’exacte mesure de l’amplitude du mouvement révolutionnaire et à y apporter les réponses appropriées dans l’esprit de ses engagements d’avril dernier. Elle en sortirait grandie et consoliderait le lien historique qu’elle entretient avec le peuple.
Il serait improductif de fermer les yeux sur la formidable prise de conscience des Algériens qui rejettent l’idée de sauver le régime finissant. Cela compliquera la crise et en retardera la solution.
Les Algériens ont pris leur destin en main et aucune force ne les dissuadera de renoncer à leurs deux demandes fondamentales : le départ du gouvernement en place et l’organisation d’une élection présidentielle sur la base du principe constitutionnel qui stipule que la seule source du pouvoir est le peuple souverain.
Des enjeux considérables sont au centre de cette équation où la défaite n’est permise ni pour le peuple ni pour l’armée.
S’entendre avec le peuple sur un rééquilibrage des forces constitutives du pouvoir d’Etat n’équivaudrait, en aucune façon, à un recul ou à une humiliation de l’armée.
Au contraire, le réalisme politique dicterait à celle-ci de co-réaliser cette Révolution avec le peuple et de faire entrer l’Algérie dans une nouvelle Histoire.
C’est le moins que l’esprit de Novembre attend de l’ANP qui se déclare, en chaque circonstance, qu’elle est l’héritière de l’ALN.
Elle permettra que Février qui doit tant à Novembre puisse, enfin, écrire la page manquante de la glorieuse épopée de la Nation algérienne.
B. E.M.

 

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