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Rubrique A fonds perdus

Violences en ligne

L’état des lieux que dresse Romain Badouard des réseaux sociaux donne froid au dos : cet espace nous rendrait plus agressifs et plus tolérants envers la violence.(*)
La « violence expressive » qui s’y manifeste engendrerait « un « ensauvagement » des relations sociales ou accompagne une « démocratisation de la méchanceté».
Le fait n’est pas inédit puisque l’auteur le rapproche au « concept historiographique de « brutalisation», qui désigne initialement un processus d’amplification de la violence politique dans l’entre-deux-guerres, hérité de l’expérience de la Première Guerre mondiale ». Une « brutalisation » associée « au double processus de banalisation et de légitimation de la violence dans le débat public, qui semble aujourd’hui à l’œuvre dans différents espaces de discussion en ligne ».
Au-delà de l’anonymat (bien protecteur) des internautes, la banalisation de la violence dans les conversations politiques du quotidien relève tant de racines culturelles — les pratiques d’échange propres au web disposant de leurs propres codes – que sociales, ou encore morales.
Romain Badouard soutient « que la violence peut constituer une ressource stratégique dans le cadre de controverses autour de sujets de société : faire taire un adversaire en l’intimidant permet alors d’occuper l’espace du débat et d’assurer une visibilité optimale aux arguments que l’on défend ».
Ce qui n’absout pas les plateformes de réseaux sociaux de toute responsabilité « dans la mesure où leur design comme leurs modèles économiques favorisent la propagation de contenus virulents, voire haineux ». La permissivité ou tolérance  attachés à la nature de l’émetteur laisse libre cours aux « trolls », expression par laquelle on désigne « les internautes plus ou moins malveillants dont l’objectif est de « pourrir » des fils de discussion en générant artificiellement des polémiques ». Le « troll » « exprime un désaccord systématique avec ce qui se dit, dénigre ses interlocuteurs ou tient des propos absurdes dans le seul but d’irriter les autres participants à la discussion ».
Au-delà du « trolling » et de l’agressivité comme registre d’expression, que l’on pourrait réunir sous le terme d’« incivilités », le cyberharcèlement et les discours de haine, même s’ils sont punis par la loi en vertu des dommages psychologiques qu’ils peuvent occasionner chez leurs victimes, ont également des effets néfastes sur le débat public et peuvent être considérés comme des atteintes au pluralisme démocratique car ils engendrent des phénomènes de censures collectives et d’auto-censure qui appauvrissent le débat.
Il est indéniable que ces formes pour le moins malveillantes d’échanges se parent de l’armure ou du carcan, bien confortables, de l’anonymat – « condition sine qua non à la libération de la parole permise par internet » : « Lorsqu’il s’agit d’aborder la question du cyberharcèlement ou des discours de haine en ligne, l’anonymat des internautes est souvent désigné comme la cause principale de leur prolifération, dans la mesure où il favoriserait une forme de déresponsabilisation des individus. Protégés derrière un pseudonyme, ils trouveraient sur internet un exutoire idéal pour manifester leurs frustrations sans avoir à en payer les conséquences. » Il convient toutefois de relativiser les dégâts associés à l’anonymat (refuge des lâches et des timides) qui ne constituerait pas réellement un élément provocateur de l’agressivité dans le débat selon des chercheurs de l’université de Zurich. La violence ou l’agressivité comme ressource stratégique dans les propos tenus par les internautes dépassent « les seules logiques de reconnaissance interpersonnelle et présentent des causes davantage structurelles ». Logiques qui n’impliquent qu’une minorité active à l’adresse d’une « majorité silencieuse qui consulte les débats sans jamais y prendre part ». En effet, « si l’architecture des réseaux sociaux est conçue de manière à inciter les internautes à prendre la parole ou à réagir, il semblerait que la plus grande partie d’entre eux utilisent ces plateformes à la manière de navigateurs, pour accéder à des contenus sans jamais participer aux conversations, « liker » des messages où partager des posts ».
L’objectif ici est de faire taire ses adversaires en les intimidant, dans une stratégie collective de « cyberharcèlement militant (qui) tend à devenir un mode d’action collective à part entière sur les réseaux sociaux ». Une pratique, historiquement liée aux réseaux d’extrême droite parfois qualifiés de « fachosphère », qui se serait, malheureusement, étendue aux militants des causes progressistes.
L’exemple de cette fâcheuse tendance nous vient des Etats-Unis : « Jonathan Chait, journaliste au New York Times, a dénoncé dans une tribune remarquée une nouvelle culture du politiquement correct au sein de la gauche radicale américaine qui viserait à disqualifier par l’humiliation les points de vue considérés comme « illégitimes ». Ces pratiques auraient selon le journaliste pour conséquence de limiter la liberté d’expression d’individus qui craignent d’être perçus et affichés comme « rétrogrades » sur les réseaux sociaux. « Le débat démocratique repose sur l’idée de convaincre les gens d’être d’accord avec vous », conclut Chait dans cette tribune, « pas de leur faire redouter de ne pas être d’accord. »
A. B.

(*) Romain Badouard, « Internet et la brutalisation du débat public », La Vie des idées, 6 novembre 2018. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Internet-et-la-brutalisation-du-debat-public.html

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